(Épisode 1/2)
La légende du saut d’obstacles, se raconte comme on ouvre un coffre rempli de trophées, de coups d’éclat, et de chevaux improbables transformés en magiciens.
Nelson Pessoa n’a jamais eu besoin d’un titre pour exister. Le Brésil l’a vu naître, l’Europe l’a sacré, et les chevaux l’ont façonné. Aujourd’hui, le « sorcier brésilien » se remet d’une chute, une épaule en carafe, mais l’esprit affûté comme en 1967, et se prépare à fêter ses 90 ans, le 16 décembre. On l’a rencontré. Ou plutôt : il nous a embarqués dans son histoire, faite de transmission, de pur-sang improbables, de Jeux olympiques venus trop tôt, et d’une passion jamais tassée.

Les débuts : un père intraitable, un enfant effrayé
On imagine mal Nelson Pessoa terrorisé par un cheval. Pourtant, c’est par la peur que tout commence. Avant la légende, il y a un gamin, un père au caractère d’acier, et une discipline encore réservée aux militaires et aux élégants du dimanche. Le futur sorcier brésilien n’existe pas encore, c’est juste un môme qui tremble à la vue d’un cheval.
Le reste, c’est lui qui nous le raconte.
« C’est venu de mon père. Vers 35 ans, assez tardivement donc, il s’est intéressé aux chevaux et a commencé la compétition au Brésil. Moi, il a essayé de me mettre à cheval à 7-8 ans, mais j’avais peur, je ne voulais pas monter. Mon père avait une personnalité très forte. C’était quelqu’un d’assez courageux. Il avait eu deux filles avant et ne pouvait pas accepter que son premier fils ait peur. Alors, Il m’a vraiment forcé. Vaincre la peur c’est difficile. C’est quelque chose d’intérieur que vous ne pouvez pas vraiment contrôler. Surtout à cet âge là. J’ai donc traversé ça entre mes 7 et mes 9 ans. De la peur, à force de persévérance, je suis passé à un amour inconditionnel des chevaux. Et ça ne m’a jamais plus quitté… »
Ensuite, une carrière qui déboule.
Quand l’équitation n’était pas un métier
À l’époque, au Brésil, être cavalier professionnel n’existe pas. Mais l’Europe va changer sa perspective.
« Au Brésil, je n’y pensais pas du tout…ça n’existait pas les sportifs professionnels, à l’époque. Comme cavaliers, il n’y avait que des militaires, des étudiants et des hommes d’affaires qui avaient le temps et qui montaient en dilettantes. Moi, je montais au Club Hippique de Rio de Janeiro, la ville où je suis né. Mon père avait un esprit de compétition important. Il a arrêté de monter et c’est sur moi que ça s’est un peu reporté. J’ai commencé alors à faire de la compétition. Pas de catégorie Juniors. J’étais le seul enfant. Alors mon père m’a utilisé un peu comme son « scudo », son faire valoir. C’est moi qu’il envoyait pour aller gagner. Car il avait de très bons chevaux. J’ai très vite remporté des victoires face à des adultes. De bons cavaliers qui allaient faire des compétitions en Europe. Et donc de mes 12 ans à mes 18 ans, j’ai progressé. , je suis arrivé à un niveau assez élevé. J’ai alors participé aux épreuves qualificatives pour l’équipe qui devaient aller concourir en Europe, dans les compétitions internationales. J’ai gagné ma place dans l’équipe. »
L’Amérique du Sud a produit un talent. L’Europe va le révéler.
L’Europe comme horizon
À 18 ans, il comprend que le cheval peut devenir une vie.
« J’y ai vite pris goût. Les concours, l’idée de devenir professionnel m’ont séduit. Dès mes 20ans, je rêvais de m’installer en Europe. »
Notre jeune Nelson parcourt alors le monde. Amérique du Sud, Amérique du Nord, Europe. La Seleção tourne. Il n’a pas de professeur attitré, mais le gamin sait observer.
« Mes copains d’équipe, c’était des adultes, des militaires. Colonels, majors, de très bons cavaliers (Fereira, de Menezes, 4èmes aux JO d’Helsinki en 1952) . On est devenus très amis et moi je copiais. Je les observais longuement et je reproduisais ce qu’ils faisaient. J’ai appris énormément grâce à eux. J’ai aussi appris la rigueur avec eux, même si mon père était déjà quelqu’un de très rigoureux. »

Stockholm 1956 : 19 ans et déjà un choc olympique
Personne n’est prêt pour les Jeux. Pas même les chevaux, encore moins le Brésil d’alors.
« En 1956, à Stockholm. J’avais 19 ans. Ça a été un choc : nous venions directement du Brésil, le voyage était long et difficile pour les chevaux…»
Ils finissent dixièmes sur 20. Un mois plus tard, la même équipe gagne Aix-la-Chapelle. Les grandes histoires commencent souvent par un jet-lag.
Les années 60, l’âge d’or : titres, demi-sang recyclés, et Europe conquise
Des demi-sang de courses brésiliens au championnat d’Europe 1967 : Pessoa transforme tout ce qu’il touche en or.
Il ne choisit pas les chevaux parfaits. Il choisit ceux qui ont besoin d’être compris. Et les amène au sommet.

Alors qu’il a 22 ans, des français, la famille Givaudan, quitte le Brésil pour aller s’installer en Suisse. Ils lui proposent de les aider et de monter leurs chevaux.
Il manque les Jeux Olympique de Rome pour se marier et puis monte dans un bateau pour l’Europe avec femme et chevaux.
« J’avais emmené mes chevaux brésiliens. C’étaient des demi-sang. Des chevaux de course. Parce qu’il y a beaucoup de course au Brésil. Et puis des chevaux qui provenaient des régiments de cavalerie. Ils avaient 200, 300, 500 chevaux. C’était un bon vivier pour dénicher de bons chevaux.
Et puis Monsieur Givaudan était très riche et achetait beaucoup de chevaux européens. Son épouse a monté en international un peu et puis a arrêté. J’y suis resté huit ans. Au cours de ces années, mes résultats n’ont cessé d’évoluer vers le haut. »
Les chevaux qui ont tout changé
Huipil, Gran Geste, Espartaco, Special Envoy. Des compagnons de victoires. Les trophées s’empilent. Des Grands Prix à profusion. 5 ème à Tokyo en 64. Pas de médaille olympique mais la satisfaction du travail bien fait.

Un regret pour la médaille olympique? Pas le moins du monde.
« Je n’ai jamais été un « dreamer », j’ai toujours été conscient de mes possibilités. Pour avoir une médaille olympique je savais qu’il fallait avoir des chevaux spéciaux. J’ai eu un cheval qui aurait pu réaliser cet exploit. Quand je fais 5ème et que D’Oriolat gagne. C’était Huipil, un cheval argentin. Et puis j’étais toujours en pleine carrière quand mon fils a gagné la médaille (l’or à Athènes en 2004) donc ça m’a fait encore plus plaisir que si c’était moi.
Et puis, j’avais Gran Geste, qui est, je pense, le cheval qui a gagné le plus de Grand Prix. Il en a gagné quarante (!!!). Mais il était très nerveux. Ce n’était pas un cheval pour les Jeux. Je l’y ai emmené deux fois, et deux fois je l’ai laissé comme réserve parce qu’il n’arrivait pas à se détendre. C’est un cheval qui venait de l’armée. Il avait une santé de fer. Mais sa tête était aussi dure. La première année, les résultats ont été mauvais jusqu’au moment ou je me suis rendu compte que je ne devais pas le détendre. Dès ce moment, je n’ai plus jamais fait un seul saut au paddock. On devait juste le longer un peu et puis je montais dessus pour aller faire le parcours directement. Et c’est là qu’il a tout gagné. »
L’apothéose avec Gran Geste sera quand Nelson Pessoa remporta le championnat d’Europe en 1966. (voir notre article « Quand le Champion d’Europe était…brésilien. « )
Mais l’histoire du carioca était loin d’être achevée….
Retrouvez demain l’épisode 2 : le regard lucide, parfois dur, d’une légende sur le sport moderne, la politique, le Brésil, et la magie qui l’a fait surnommer “le sorcier brésilien”.
(Photos © Collection privée Nelson Pessoa)