(Épisode 2/2)
Après nous avoir raconté comment un gamin froussard de Rio s’est transformé en champion d’Europe et en globe-trotter du saut d’obstacles (retrouvez le premier épisode « Nelson Pessoa : bientôt 90 ans, une épaule en vrac, mais la mémoire en or massif. » ici), Nelson Pessoa attaque la deuxième partie de sa vie : celle où il regarde le sport changer, parfois en bien, parfois en moins bien.
Aujourd’hui, « Neco » observe le monde qu’il a contribué à façonner depuis l’Europe, depuis la Belgique où il s’est installé à l’aube des années 80 pour y fonder le Haras de Ligny.
Depuis cette époque, dit-il, le monde a changé. Beaucoup.
Transmettre, encore et toujours
« Le sport m’a donné beaucoup, et j’ai essayé en retour de contribuer, notamment auprès des jeunes cavaliers, de l’élevage, et plus largement à l’évolution de notre discipline. Ce qui m’a toujours importé, c’est la transmission.
Je n’ai jamais voulu de rôle officiel ou politique dans les fédérations, ce n’était pas mon domaine. Ma manière de contribuer, c’était plutôt de former des cavaliers et des chevaux, de collaborer avec la fédération, et de mener des équipes, comme ce fut le cas avec l’équipe du Brésil. Nous n’avions pas la réputation d’être parmi les plus fortes en Europe, mais nous avons tout de même décroché une médaille olympique par équipe en 2004 (avec un certain Rodrigo Pessoa dans la team, ndlr).
Et puis il y a eu les parcours individuels, comme celui de mon fils, qui a beaucoup marqué. J’ai toujours considéré que ma mission était de transmettre et d’accompagner. »

Rodrigo, ce fils devenu champion
Pourtant, quand Rodrigo était petit, « Neco » n’avait pas spécialement envie de le voir lui emboîter le pas.
« C’est logique qu’il soit devenu cavalier. Dans la maison, il y avait des coupes et des photos partout. Mais je n’y tenais pas particulièrement. Je voulais d’abord qu’il fasse de bonnes études. Ce qu’il a fait. C’était pratique : on avait l’école américaine juste à côté des écuries.
Il montait un peu à côté et ce n’est que vers 14-15 ans qu’il a mordu au cheval. On est allé ensuite aux États-Unis, car je pensais que l’école du hunter était la meilleure pour lui. Je ne pense pas que je me suis trompé. »
Transmission, toujours, mais avec nuance.

« Comme mon père l’avait fait avec moi, j’ai essayé de lui transmettre mes connaissances. Mais pas vraiment de la même manière. Moi j’avais des années derrière moi en tant que professeur. Mon père était beaucoup plus “nature”.
Voir Rodrigo arriver au plus haut niveau est certainement ce qui m’a apporté le plus d’émotion dans ma vie. »
Une évolution, une révolution
L’époque où Rodrigo a explosé était une période charnière, à mi-chemin entre tradition et modernité. Le sorcier a observé.
« On est entré dans un vrai professionnalisme. L’argent a pris une place très importante… Aujourd’hui, le mot “amateur” est presque péjoratif. »
Ce qui est mieux ? Les chevaux.
Ce qui manque ? Les hommes de cheval.
« Il y a moins de véritables connaisseurs… Peut-être faudrait-il qu’un vrai homme de cheval devienne un jour président de la Fédération internationale…car c’est du côté de la politique que, je pense, l’on perd le plus le contact avec le cheval»

Chevaux au maximum et compétitions à rallonge
Et demain ? Difficile d’imaginer plus haut, dit-il.
« Les chevaux actuels sont hyper sportifs… On est au maximum. L’avenir dépend plus des infrastructures et des organisations… Le grand défi reste le contrôle, notamment vis-à-vis du dopage. »
Regarde-t-il toujours le sport ? Bien sûr. Même si tout n’est pas parfait.
« Les compétitions sont parfois trop longues… Il faudrait des formats plus courts, plus clairs. Il faudrait séparer les vrais professionnels des amateurs fortunés qui n’ont pas grand-chose à faire dans de telles épreuves. Puisqu’on sait qu’ils n’ont aucune chance. »
L‘amour du sport, de la Formule 1 à Mohamed Ali
Nelson Pessoa aime le cheval, mais pas seulement.
« J’aurais pu aimer un autre sport, mais ma passion, c’était le cheval. C’est devenu mon métier parce que j’aimais les chevaux. Mais je suis aussi attentif au football et à la Formule 1, très populaires au Brésil.
J’ai eu la chance de rencontrer beaucoup de grands sportifs, notamment des pilotes brésiliens de Formule 1. J’aimais admirer leur personnalité et leur esprit sportif.
Et j’ai aussi toujours eu des idoles dans différents sports, comme Mohamed Ali. C’était une personnalité extraordinaire, avec une intelligence et un charisme incroyables. »
Un regret ?
« J’ai pu visiter son centre d’entraînement à Atlanta… Malheureusement je n’ai pas eu l’occasion de le rencontrer lui… »
À 90 ans, la trace qu’il veut laisser

À quelques semaines de souffler au-dessus d’un gâteau scintillant, quelle empreinte voudrait-il laisser?
« J’aimerais qu’on se souvienne d’un homme discret, modeste, respectueux, qui a donné un exemple à travers le sport. Pas seulement par les résultats, mais aussi par la manière d’être.
J’ai toujours pensé que ça faisait partie de la mission d’un sportif : donner l’exemple aux jeunes, leur montrer que le sport peut être une école de vie. »

Ah oui, et ce surnom de « Sorcier”, alors ?
Il éclate de rire.
« Je viens d’un pays avec un côté mystique où le chamanisme peut avoir aussi une place importante. À l’époque, j’avais souvent des résultats “magiques” avec des chevaux qui n’avaient pas beaucoup de potentiel…
Il y avait un journaliste, aussi speaker en concours, qui me voyait réaliser presque un exploit avec ces chevaux moyens. On l’entendait s’enflammer dans les haut-parleurs en disant : “C’est de la sorcellerie ! C’est de la sorcellerie !” Et le surnom est resté… Ça m’a toujours amusé. »
Un dernier sourire.
L’homme n’a plus rien à prouver. Il a vécu. Bien. Gagné. Beaucoup. Transmis. Encore plus. Observateur du monde, personnage avisé et modeste, il fêtera ses 90 ans le 16 décembre. Le dernier magicien d’un monde qui change trop vite.