Marc Van Dijck : l’équilibre derrière la réussite

Publié par Sébastien Boulanger le 02/12/2025

(Épisode 2/2)

Top 5 mondial, titres en pagaille, un cheval de championnat nommé Ermitage Kalone, une armée de jeunes chevaux derrière, 42 week-ends de concours par an. Au milieu de cet ouragan : un homme qui organise, canalise, temporise. Dans ce deuxième volet (retrouvez le premier ici), Marc Van Dijck raconte la gestion du quotidien, les disputes, le geste fou de La Corogne, la pression du classement…

Construire la suite d’Ermitage et de Luna

Le cœur du système, aujourd’hui, c’est une écurie pensée à moyen et long terme.

« Ermitage est arrivé ici quand il avait 7 ans. Gilles avait Luna (van het Dennehof) comme premier cheval et Calleryama à ce moment-là. On a pris le temps.
Parce que si tu n’as que deux chevaux, tu sautes trop et tu les tues. Tu ne peux pas les prendre tous les week-ends, ce n’est pas possible.
Et Gilles part presque tous les week-ends, donc il faut beaucoup de chevaux. L’année passée, il est parti 42 week-ends. Heureusement, il en a 7 ou 8 qu’il peut faire tourner. On n’a jamais trop de bons chevaux.
Les gens disent : “Oui, il a beaucoup de bons chevaux”. Mais ça peut tourner vite. Un jour, un se blesse, un autre est malade… ça peut changer très vite. »

La réponse à cette fragilité, c’est une filière de jeunes, préparés comme des futurs cracks, pas comme des figurants.

« Gilles monte aussi les jeunes chevaux, les 5, 6, 7 ans. Comme ça, il les connaît directement et peut les intégrer à son système. Ensuite, il peut les prendre pour les bons concours.
Ainsi, à 8 ans, ils sont prêts. Le week-end dernier, il est parti à Stockholm avec un 8 ans : Happy Landais (un étalon Selle Français, Andiamo Semilly x Helios de la Cour, ndlr). Il est encore jeune, mais il peut déjà sauter 1m40, 1m45. En procédant ainsi, ils sont dans le rythme. »

C’est maintenant que se prépare la succession d’Ermitage, de Luna et des autres. Pas dans deux ans, quand il sera trop tard.

Ermitage, le cheval « pas normal »

(© FEI/Benjamin Clarck)

Impossible de parler de la carrière récente de Gilles sans passer par lui : Ermitage.

« Oui, Ermitage a joué un rôle énorme.
On n’en a pas beaucoup des chevaux comme ça, un vrai cheval de championnat.
En Belgique, on a beaucoup de bons chevaux, des chevaux pour sauter 1m50, 1m55 ou même 1m60, mais pour faire ça, ils sont beaucoup plus rares.
Pour enchaîner quatre ou cinq parcours de championnat au plus haut niveau, avec cette régularité et cette marge, il faut un cheval exceptionnel. On n’en a pas cinq en Belgique.

Quand je montais, on avait quelques chevaux comme ça : Otterongo, Clinton, Cumano, Goliath, Nabab, O de Pomme. On a gagné beaucoup avec eux. Et aujourd’hui, avec Ermitage, on retrouve ce niveau de qualité. »

Quand Marc dit « ce n’est pas normal », ce n’est pas pour minimiser, mais pour rappeler que ce type de cheval est une anomalie positive : le genre de crack que certains cherchent toute une vie, et pour lequel tout le système doit être organisé afin de ne pas le griller.

(Marc avec Ermitage Kalone)

À la maison : 90 % des sauts sous l’œil de Marc

Les succès de 2025 se fabriquent loin des pistes.

« Il ne saute presque jamais sans moi, à la maison. Je pense que 90 % du temps, quand il saute ici, c’est avec moi.
Et moi, je suis assez dur. Donc oui, parfois le ton monte un peu. Mais pas trop souvent.
C’est comme dans toutes les familles. Avec un étranger, c’est plus difficile.
Avec son neveu, on peut discuter, ne pas être d’accord, sans que ça remette en cause notre relation. »

La méthode : du travail, des détails, des débriefs honnêtes.

« Il ne sait pas encore tout, il a toujours quelque chose à apprendre.
Quand ça ne va pas, il vient encore me demander : “Qu’est-ce que tu penses ? Qu’est-ce que j’aurais dû faire ?”. »

Les disputes ? Évidemment.

« Bien sûr. Ça arrive. C’est normal dans une famille.
Mais je suis quelqu’un de dur. Pour moi, il faut travailler. Ça ne vient pas tout seul.
J’ai travaillé dur pour arriver là. Lui aussi doit travailler. »

(Gilles & Quiara de Kalvarie)

En concours : deux reconnaissances et un dernier mot au paddock

Marc ne suit pas Gilles partout, mais quand il est là, son rôle est clair.

« Je ne vais pas tout le temps en concours. À la maison, il y a aussi beaucoup à faire : préparer les chevaux pour la semaine suivante, organiser l’écurie.
Quand Gilles n’est pas là, je monte 6 ou 7 chevaux moi-même.
Mais quand c’est possible, je l’accompagne. Il est encore jeune, et ma présence est un plus pour lui.
Mais il a aussi ses collègues : Niels, Pieter, les fils de Ludo… Ils discutent, échangent. »

Sur place, la partition est rodée :

« Quand je suis là, avant l’épreuve, je fais mon tour, il fait le sien, puis on discute.
Quand il commence à se mettre à cheval, je regarde encore quelques cavaliers pour vérifier.
Ensuite, je le retrouve au paddock pour les derniers conseils : “Fais plutôt ça ou ça, la ligne est un peu longue ou un peu courte”, ce genre de choses. »

(Championnat d’Europe Young Riders à Samorin en 2017. © Dirk Caremans)

Après le parcours, le débrief.

« Quand ça n’a pas été, il me demande : “Qu’est-ce que tu penses ? Qu’est-ce que j’aurais dû faire?”.
80 % du temps, ce n’est pas le cheval.
C’est le cavalier : pas le bon rythme, pas le bon tournant, pas le bon contact… Tout ce qui se passe avant la distance est aussi important. Et ça, ce n’est pas facile. »

La Corogne : les bras en l’air avant la ligne

À La Corogne, quand Gilles lève les bras avant la ligne d’arrivée, Marc assiste à un moment irréel.

Quand vous le voyez sauter le dernier obstacle et lever les bras au-dessus avant de couper la ligne d’arrivée, vous vous dites quoi ?

« J’ai été surpris. Je me suis dit que c’était risqué. Le cheval saute bien les verticaux, mais il faut quand même les passer.
Je lui ai demandé après. Il m’a dit qu’il ne s’était même pas rendu compte de ce qu’il avait fait.
C’était l’euphorie, pas consciemment. Je lui ai dit de ne pas trop faire ça.
Parce que si tu fais la faute là… tu deviens fou. Tu rates la médaille d’or et ça tourne longtemps dans ta tête.
Ce n’était pas de l’arrogance, juste un geste spontané, irréfléchi. Il ne comprend même pas qu’il a pu faire ça. »

Même dans la folie du sport, Marc reste la petite voix de prudence.

(Gilles & Ermitage Kalone, La Corogne Juillet 2025. ©FEI/Benjamin Clark)

Top 5 oui, numéro 1… pas à n’importe quel prix

Gilles est aujourd’hui dans le top 5 mondial. Faut-il viser le sommet ?

« Il est dans le top 5, c’est déjà très bien. Peut-être qu’il peut encore monter un peu. Ça change chaque mois.
S’il reste dans le top 10, je suis très content.
»

(Gilles et Ermitage Kalone lors d’une Coupe des nations humide à Bruxelles en 2025)

Quant au numéro 1, Marc est catégorique :

« Pour un Européen qui ne court pas tout le temps en Amérique, avec leur système de points, ce n’est presque pas possible. Là-bas, il y a cinq ou six épreuves ranking par concours. Ici, deux.
Mais ce n’est pas le plus important.
Je ne veux pas le voir tirer sur les chevaux pour devenir numéro
1. »

Le message est posé : l’objectif, c’est la longévité et le respect des chevaux, pas la course folle aux points.

Quand l’élève dépasse le maître

Marc a été 15e mondial. Gilles est devant. Et alors ?

« Il doit encore m’écouter, je peux encore tout lui montrer.
Si ça ne marche pas, je lui dis : “Kom, descend, je vais te montrer comment il faut faire”. (Rires) »

Et son caractère ?

« Il n’est pas expressif. Il est fermé, réservé, même avec moi.
Quand quelque chose ne va pas, il ne vient pas l’expliquer tout de suite.
C’est moi qui dois poser les questions.
Il ne fait jamais trop de gestes. Quand il est en soirée, un peu plus tard, après 2-3 bières, ça change peut-être. (Rires) »

(Gilles & Quiara de Kalvarie)

Un système qu’il a déjà appliqué à d’autres

Gilles n’est pas un hasard isolé.

« J’ai fait ça avec Yves Vanderhasselt, qui venait monter ici après l’école.
Puis avec Niels Bruynseels. À ce moment-là, il n’avait plus de chevaux et voulait arrêter.
Je lui ai dit de ne pas arrêter, il est devenu mon cavalier. Il venait monter deux, trois fois par semaine. Je lui ai passé des chevaux. Sans ça, il aurait peut-être arrêté.
Tu peux être un bon cavalier, si tu n’as pas de bons chevaux, tu ne sais rien faire. »

Quant à Gilles :

« Certains lui ont déjà proposé de monter pour eux.
Mais je pense qu’il est assez malin pour savoir que mieux qu’ici, ce n’est pas si facile. (Rires) »

La galaxie Gilles Thomas

Gilles Thomas

Mission accomplie ? Jamais vraiment

Vous avez le sentiment d’avoir rempli votre mission avec lui ?

« On a fait un beau bout de chemin, oui.
Mais ce n’est jamais terminé. Dans ce sport, on n’a jamais fini.
On peut toujours progresser, améliorer les chevaux, les détails.
»

Et il a un dernier conseil permanent pour son neveu :

« Je lui ai toujours dit : “Utilise tes yeux, tu peux toujours apprendre quelque chose des bons cavaliers. » On peut apprendre de tout le monde, des autres cavaliers, des autres systèmes.
Il ne faut pas tout copier, mais prendre ce qui peut être bon pour nous, l’adapter à notre propre système.
»

Ce qui les distingue, lui et sa génération, de celle de Gilles ?

« C’est la même chose pour Ludo (Philippaerts) et ses fils.
Nous, on n’avait pas de chevaux, on a dû les construire. On n’avait pas de sponsor, etc. Et step by step on a fait tout nous-mêmes.
Et ça change quand même beaucoup de choses.
Les jeunes cavaliers pensent que ce qu’ils ont aujourd’hui, c’est normal. Mais ce n’est pas normal.
C’est un sport difficile et tout ce qu’on fait pour eux n’est pas normal. Mais pour moi c’est un plaisir.
Certains disent que c’est mon “hobby”.
Mais un hobby qui prend beaucoup de temps car je dois organiser tout le boulot ici à l’écurie.
Si c’était un hobby, alors je ne prendrais que deux chevaux et je passerais mon temps à aller me promener. (Rires)
»

On a en effet connu des hobbies plus reposants, mais aussi moins satisfaisants…

Retrouvez l’épisode 1  » Marc Van Dijck, l’homme derrière le phénomène Gilles Thomas » ici