Spoiler : probablement rien. À moins que les juges, les codes de l’attelage eux-mêmes ne changent.
Le meneur australien écrase tout sur son passage : Lyon, Maastricht, Stuttgart, Stockholm… à chaque entrée en piste, la même conclusion: victoire. Un rouleau compresseur à quatre chevaux. À ce stade, la vraie question dépasse la simple performance : cette domination est-elle encore bonne pour le sport ?
Pour y répondre, So Horse a interrogé Félix-Marie Brasseur, double champion du monde, figure majeure de l’attelage international. Son analyse est aussi fine que cash.
Boyd Exell, la saison où il gagne tout
La Coupe du monde d’attelage 2025-2026 a pris des airs de démonstration.
• À Lyon, il ouvre la saison avec un double sans-faute supersonique.
• À Maastricht, malgré une sortie de piste (28 points), il explose le drive-off et gagne encore.
• À Stuttgart, puis Stockholm, même scénario : maîtrise totale, vitesse chirurgicale.
Quatre départs, quatre victoires.
Et ce, malgré une fracture du pied, strap et douleur inclus.
Pour l’instant, Exell ne participe pas au circuit : il l’écrase.

Le décryptage de Félix-Marie Brasseur : “Il a un stock de chevaux incomparable”
Avant d’entrer dans le vif, rappel utile : Félix-Marie Brasseur, c’est deux titres mondiaux (1996 et 2006), des victoires en Coupe du monde, entraîneur international, juge international. Bref, une parole qui compte.
Nous lui avons demandé ce qui pourrait arrêter Exell.
Pourquoi Exell écrase tout : un avantage structurel
Félix-Marie Brasseur :
« Boyd est l’un des meilleurs meneurs actuels, si ce n’est le meilleur.
Une grande partie de sa réussite vient de sa capacité à disposer d’un stock de chevaux exceptionnel.Il est probablement le plus grand marchand de chevaux d’attelage, avec des chevaux dans plusieurs pays, préparés un peu partout.
Cela lui permet d’avoir en permanence les chevaux les plus beaux, les mieux préparés, pour l’indoor comme pour l’outdoor.
À cela, il faut ajouter que l’homme est très bon : habile, précis, en parfaite connexion avec ses chevaux.
Nous avons d’autres très bons meneurs, mais aucun n’a un parc de chevaux comparable. »
La force d’Exell, ce n’est pas seulement son talent :
c’est une organisation, un réseau international, un vivier de chevaux qui n’a pas d’équivalent en attelage moderne.
“Ce n’est pas bon pour la dynamique du sport”, Le revers de la médaille
La domination est fascinante, mais est-elle bénéfique ?
FMB :
« Je ne le pense pas. Pour la dynamique du sport, il serait préférable que les épreuves soient plus disputées. Il arrive avec un statut de favori évident, et lorsqu’un meneur est devant depuis longtemps, cela influence inconsciemment les juges.
Je l’ai vécu moi-même : j’en ai parfois bénéficié.Les juges devraient pourtant davantage se mettre au goût du jour, comme en équitation montée. »
Pour Brasseur, l’attelage souffre d’un conservatisme technique, loin de l’évolution du jumping ou du dressage moderne.
Il cite un exemple éclairant :
« Regardez Justin Verboomen : il présente une légèreté incroyable, une nuque ouverte, un cheval qui se donne. Le jour où l’on valorisera davantage ce type de légèreté, les classements changeront. »
Les autres meneurs ne sont pas pénalisés… mais enfermés dans un système
L’impact ne se limite pas à Exell.
FMB :
« Les autres meneurs suivent un peu la même voie, parce que les juges poussent dans cette direction, parfois par manque de compétence.Il faut se demander : est-ce cela, l’équitation ?
Ne devrait-on pas retrouver plus de légèreté, plus de chevaux libres et moins fermés ? »
L’ancien champion n’élude rien :
selon lui, le modèle dominant n’est pas forcément le plus juste.
Il ajoute même une comparaison frappante :
« En jumping, si les chevaux étaient aussi fermés qu’en attelage, ils feraient des fautes.
Les cavaliers les laissent s’exprimer, et c’est comme cela qu’on obtient de la propulsion. »

L’âge des chevaux d’Exell : une faiblesse potentielle ? Peu probable
Des chevaux expérimentés, parfois âgés… un point d’ouverture ?
Pas vraiment.
FMB :
« Quand on a de très bons chevaux, on les garde longtemps.
Mais Boyd a le luxe d’en préparer d’autres : il a toujours un cinquième ou un sixième cheval avec lui.Et comme ses clients sont aisés (très) il continue de développer un stock impressionnant. »
Donc même le renouvellement générationnel, souvent le talon d’Achille des meneurs, n’est pas un vrai problème pour lui.
Changer le format de la Coupe du monde indoor? Aucun effet
Et si on ajoutait plus de vitesse, plus de technique.
Brasseur est catégorique :
« Le format n’y changera rien. Boyd sait tout faire.
Le vrai sujet, c’est la philosophie d’équitation et la manière dont les juges évaluent. »
Voilà qui a le mérite d’être clair.
Boyd Exell est en train d’écrire l’une des plus grandes périodes de domination de l’histoire de la discipline.
Mais derrière cette hégémonie sportive, Félix-Marie Brasseur est clair :
si le sport ne change pas, Exell restera intouchable. S’il change, tout peut arriver.
(Photos © FEI/Kim C Lundin)