Ce que le Brexit a coûté à la filière équine ? Un rein et un aller simple pour la paperasserie. Quant à Trump, ses caprices tarifaires font vaciller le marché transatlantique plus vite qu’un débutant sur un jeune étalon.
Depuis quelques années, cavaliers, marchands et organisateurs de concours ont troqué les obstacles à 1m60 contre des murs bureaucratiques de 4 mètres! La faute à deux hommes à la chevelure aussi indomptable que leur caractère : Boris Johnson et Donald Trump. D’un côté, le Brexit. De l’autre, l’Amérique sous tension fiscale. Résultat : des chevaux qui voyagent moins, des vendeurs et des acheteurs qui stressent, des vétérinaires débordés, et des carnets ATA qui coûtent aussi cher qu’une belle paire de bottes.
Traverser la Manche ? Préparez les billets et les nerfs
Ce qui n’était il n’y a pas si longtemps encore qu’une formalité et devenu nettement plus pénible: traverser la Manche.
Prenez Grégory Wathelet, cavalier 5* belge. Pour aller à Windsor, le coût administratif a gonflé de 3000 à 4000 € par camion. Le bateau ? Pas plus cher qu’avant (en tout cas pas beaucoup). Mais la douane, les papiers, les nouvelles normes pour les camions, et l’absence d’homologation automatique ont transformé chaque voyage vers le Royaume-Uni en véritable expédition. Heureusement, les logisticiens aident. Comme Peden Bloodstock qui a, par exemple, organisé des sessions d’homologation express sur place lors du Windsor Horse Show pour les camions continentaux . Tarif : 500 €. Moins cher qu’un voyage spécial sur l’île pour homologation et moins cher qu’une amende.

En repartant, ce n’est pas fini… Il faut un rendez-vous avec la douane pour un contrôle vétérinaire. Premier arrivé, premier servi. C’est la guerre à la réservation. Résultat ? Des camions bloqués jusqu’au lundi 17h et des chevaux qui rentrent à l’écurie le mardi si tout va bien. La galère.
Scott Brash, lui, aussi est un « frequent traveler ». La traversée de la Manche il la connait comme sa poche. Basé près d’Hickstead, l’écossais saute sur le continent à de très nombres reprise sur une saison. Les coût engendrés par le Brexit sont faramineux, mais il n’y a pas que les coûts.
« Mes coûts ont été multipliés par trois. J’ai des coûts annuels entre 150 000 et 200 000 € à cause du Brexit. Chaque semaine, des prises de sang, des papiers, des rendez-vous véto à Calais, entre 17h et 19h seulement. C’est devenu un casse-tête. On ne peut plus changer de cheval à la dernière minute pour un concours. Il faut 4 jours minimum. » nous confie le multiple Champion Olympique.
Et le fameux carnet ATA ? 500€ par cheval. À chaque fois. Et ce, des deux côtés de la Manche. De quoi transformer un simple aller-retour concours en budget vacances de luxe. Résultat : certains comme Tom Williams claquent 3000 € par cheval pour une tournée comme le Sunshine Tour, puis restent figés à domicile tout le reste de l’année. Pas par choix, par survie économique.
Temps d’attente aux BCP (Calais) de 3 à 7 h, jusqu’à 9 h selon certains témoignages, une situation stressante pour les chevaux confirme une publication du parlement britannique qui essaie de trouver des solutions comme la mise en place un système niveau par niveau à partir de fin 2024 pour les vérifications à l’import (BTOM) : certains équidés “high health” comme les chevaux de course pourraient être soumis à des contrôles allégés. Cela concernerait 10 % des cas, et il faut qu’un accord buraucratique soit trouvé avec l’UE… en résumé: ce n’est pas pour demain.
Le rêve américain ? Un rêve taxé à 35%?
Et côté USA ? Ce n’est pas beaucoup plus funky.
Carlos Pinto, à la tête de Millestone Farm, marchand bien installé aux Pays-Bas et co-organisateur de The Collection Auction, balance cash :
« J’avais deux ventes prévues aux États-Unis. Une a capoté à cause des 10 % de surtaxe au mois de juin. L’acheteur dépassait son budget. »
Même pour les riches, les incertitudes font transpirer. Les clients américains – souvent des investisseurs – freinent leurs achats en attendant les prochaines décisions de la Maison-Blanche, prévues maintenant fin juillet. Jusqu’au 9 juillet on craignait les 20% et maintenant c’est la menace des 35% qui plane.
«Certains mettent le projet d’achat en pause pendant 3-4 mois. Mais ils doivent acheter en Europe, ils n’ont pas le choix. Donc ils attendent de voir quel est le meilleur moment. Maintenant on ne peut pas dire que la volonté de Trump de rééquilibrer la balance soit insencée. Dans l’autre sens, je le vois ici aux Pays-Bas par exemple, il y a des taxes de 13% aussi. Les clients aux USA ont encore les moyens. Mais c’est l’instabilité qui les paralyse. Ce sont des personnes qui ont des investissement en bourse etc. Leurs revenus dépendent en partie des marchés et ceux-ci fluctuent après chaque annonce. Du coup tout est gelé. Les gens attendent d’avoir des perspective sûres et stables »
Selon Carlos Pinto, des surtaxes existent déjà. elles sont juste déguisées. Les quarantaines à 10 000 € pour un étalon, les tests de piroplasmose à répétition…
» On sait qu’il y a la « piro » sur le continent américain aussi, mais ces tests et quarantaines longs et couteux existent toujours. C’est clair que c’est une forme de taxe. Une manière de prendre de l’argent à chaque passage.
Concernant le Royaume Uni, il y a aussi des taxes. 13% + 21% de TVA (récupérable), mais les Pays-Bas ont trouvés un arrangement avec le Royaume-Uni pour ne plus devoir avancer le montant de la TVA. »
Steve Tinti, Marchand également et co-organisateur de la vente The Collection Auction avec Carlos Pinto, nous confie que concernant la vente justement, cette année, il a fallu anticiper…
« Deux tiers des chevaux sont partis aux USA. Mais on avait réservé les vols avant les nouvelles taxes de juillet. Car avec les perspectives de taxe on savait que les places seraient comptées car les gens voulaient passer avant les annonces. Si on n’avait pas fait ça, , je pense que l’on aurait perdu certaines ventes. »
Le cheval devient un luxe logistique
Les nouvelles régulations sont claires comme du jus de carotte :
- Des carnets, des contrôles vétérinaires, des agréments de transport,
- Des attentes de 1 à 4 heures à Calais, parfois 7 à 9 heures en période de rush,
- Des tarifs multipliés, des retards constants, des chevaux stressés,
- Et surtout, une chute de 40 à 60% des mouvements équins entre UE et GB depuis 2021.
En bref ? Le cheval européen a perdu sa liberté de galop. Les frontières ne sont plus un détail, elles sont un mur. Et derrière ce mur, la logistique est devenue une discipline olympique.
La chute d’un monde globalisé ?
Ce que les témoignages de Wathelet, Pinto ou Brash montrent, c’est qu’on assiste à un virage. Le cheval, jadis ambassadeur fluide entre les continents, devient otage de la géopolitique. L’Union européenne s’est enfermée dans des règlements sanitaires stricts. Le Royaume-Uni s’est isolé. Les États-Unis se protègent. Résultat : moins de commerce, plus de contraintes, et des carrières sportives ou commerciales mises sur pause.
Il y a quelques années, acheter un cheval en Europe, l’expédier à Wellington, le faire courir à Genève, puis revenir au « Global » de Londres, c’était un mardi classique. Aujourd’hui ? C’est un parcours du combattant.
Morale de l’histoire ?
Si vous voulez vendre un cheval, mieux vaut connaître un douanier, un véto, un fiscaliste et prier pour que Trump ne tweete rien de farfelu avant la signature.
Le Brexit a fermé des portes. Trump y a ajouté des serrures. Mais pour les pros du milieu, pas question de descendre de cheval. Ils galopent toujours. Même dans la gadoue administrative.
(Illustrations réalisées avec l’IA)