l fallait finir dans le top 6 du Grand Prix. Sur le papier, un truc gérable, presque banal pour un type qui occupe la 6ᵉ place mondiale et qui, depuis six mois, saute plus haut que tout le monde. Mais à Rome, rien n’est jamais banal. Circo Massimo, dimanche d’octobre, tribunes pleines : la scène avait des airs de couronnement. Gilles Thomas n’avait plus qu’à dérouler, avec la décontraction de ceux qui savent déjà que, sauf cataclysme, la saison est pour eux.
Sauf que le saut d’obstacles, c’est comme le cyclisme : une crevaison dans le dernier kilomètre, une barre qui tremble un peu trop, et tout peut basculer.
Et elle a tremblé, la barre du numéro 2 quand Gilles Thomas est passé. Qalista DN, sa BWP de 9 ans (Emerald x Landetto), la frôle, la fait bouger… mais elle tient. Et avec elle, l’accomplissement d’une saison.
Rome, dernier acte d’une saison écrasée
Thomas arrivait dans la capitale italienne avec le brassard de leader et la simplicité tranquille des grands. Il lui suffisait d’une place dans les six pour verrouiller le classement général du Global Champions Tour 2025. Derrière, Christian Kukuk devait frapper fort — top 4 obligatoire — pour continuer à y croire. Mauvaise pioche : quatre points au premier tour pour l’Allemand et son Checker 47. Fin du suspense.
Le Belge, lui, passe sans faute. Barrage dans la poche, dix cavaliers encore en lice, quatre à laisser derrière. À ce jeu-là, le jeune prodige ne tremble pas.
Devant lui, Zanotelli s’écroule (quatre barres), Katharina Rhomberg signe un double sans faute propre mais sage (36.67), Cottard améliore un peu (36.41). Harrie Smolders, lui, fait du Smolders : un tour au cordeau avec Monaco, 34.27 chrono. Le genre de temps qui fait vibrer une tribune.
Bertram Allen met une barre au sol, et Gilles s’élance. Plein gaz, regard vissé sur la piste. Une barre qui bouge, oui, mais rien ne tombe. 34.41 à l’arrivée. Pas assez pour battre Smolders, mais largement suffisant pour s’offrir la couronne du Global.
“Je pouvais me permettre de prendre plus de risques”
Quand on lui parle de ce barrage plein d’audace, le gamin de 27 ans (oui, encore un) sourit :
“Je savais que si ça ne se passait pas ici, j’aurais encore d’autres occasions ailleurs dans la saison. C’est pour ça que je pouvais me permettre de prendre un peu plus de risques.”
Ce mélange de lucidité et d’insouciance, c’est toute la marque Thomas. Le mec qui saute avec l’aisance d’un ado qui joue au basket dans la cour, mais avec la précision d’un shooter NBA.
Et ce n’est pas Harrie Smolders, l’ancien champion du Global et vainqueur du jour, qui dira le contraire.
“Je connais Harrie depuis longtemps. Il plaisantait en disant qu’il allait tout donner pour me mettre la pression, juste pour me rendre un peu nerveux. Mais je savais qu’il blaguait. Finalement, ça m’a aidé à rester concentré.”
Résultat : le “vieux” gagne la bataille du jour, le “jeune” s’offre la guerre de la saison.
L’écurie la plus affûtée du moment
Smolders disait récemment qu’il faut au moins deux chevaux de Grand Prix cinq étoiles pour espérer jouer le titre sur une saison complète. Thomas en aligne quatre sans sourciller : Qalista DN, Chiara, Ermitage Kalone, Luna van het Dennehof… un escadron à faire rougir n’importe quel chef d’écurie.
“Oui, je pense qu’on peut dire que j’ai l’une des écuries les plus puissantes du moment. Cela me permet d’élaborer un vrai programme pour chacun et d’obtenir de bonnes performances à chaque étape.”
Et ça s’est vu. Victoires à Paris, New York, podiums à répétition, titre bouclé plus tôt que n’importe quel autre champion depuis dix ans.
Le “Pogacar de l’obstacle”
Il a gagné, dominé, même écrasé. Mais il ne réalise pas encore complètement.
“Aujourd’hui, j’étais surtout concentré sur le fait d’essayer de gagner cette dernière étape. Mais oui, je suis aussi le champion de la saison, et mes chevaux ont sauté de manière incroyable. J’ai pris confiance très tôt dans l’année, et ça m’a donné des ailes.”
Des ailes, oui. Et une trajectoire de comète : plus jeune champion de l’histoire du circuit, déjà trois montures prêtes à tout casser, et une envie de continuer.
“Peut-être que j’ai aussi ressenti un peu la pression des leaders, mais ça m’a finalement poussé à me dépasser.”
Le moment fort de sa saison ? Pas Rome, ni New York, mais Paris :
“La victoire avec Ermitage Kalone. C’était ma première de la saison. À Paris, on a vraiment réussi notre barrage. Sans doute le plus beau moment.”
Et le Champion 2025 de conclure, l’œil déjà tourné vers la suite : il ne se rendra probablement pas à Riyad rassasié. Un champion a toujours faim.