Si un jour vous avez vu un film avec des cascades à cheval, il y a de fortes chances que Mario Luraschi était de la partie… Récemment c’est dans les deux volets (bientôt trois) des Trois Mousquetaires, dans la série Zorro ou encore Marie-Antoinette que lui et son équipe ont officié. Ce week-end, il sera en représentations en Belgique, à Liège, pour deux soirées exceptionnelles avec son spectacle « Les Chevaux de Cinema ». Luraschi et cinéma, deux mots qui vont de paire.
So Horse a voulu connaitre les dessous de cette relation qui ne date pas d’hier. D’ailleurs, quand on demande à Mario Luraschi combien il a d’années de carrière, c’est un long sifflement qui arrive en guise de réponse. Un sifflement qui signifie que ça fait un sacré bail. Soixante seize moins dix huit, enchaine t’il. À 76 ans, il ne compte plus les années de passion à cheval au cinéma. Mais il se souvient que c’est à 18 ans que tout à commencé…
(Photo: Rachel A.C.)
Sa relation avec le cinéma, son regard dans le rétro, comment il vit sa passion, quand ça s’arrêtera… le maître de la cascade équestre se confie à So Horse à travers 7 questions.
» je ne suis pas rentré dans le cinéma, c’est le cinéma qui est rentré en moi… »
So Horse: Mario Luraschi, comment est-ce que tout ça a commencé?
Mario Luraschi: « Par les indiens… J’ai lu un petit livre sur les Indiens d’Amérique du Nord. Il y avait une phrase dans laquelle le Lieutenant Colonel Custer disait: « Lorsque nous attaquons un camps indien, nous tuons femmes et enfants et on dit que c’est une grande victoire. Lorsque les indiens attaquent un fort et tuent tout le monde, on appelle ça un massacre ». Ça m’a choqué qu’un gars comme Custer puisse dire une chose pareille. Puisque c’était un grand assassin d’indiens… Et du coup, j’ai voulu en savoir plus et puis j’ai voulu monter à cheval comme les indiens...
Et bien plus tard, j’ai joué dans plein de films d’indiens. Entre autres Lucky Luke (de et avec Terence Hill. NDLR) . J’ai beaucoup joué les indiens et ça m’a beaucoup plut ».
(Tournage de Lucky Luke avec Terence Hill, 1991 . Photos © luraschi.com)
S.H. Vous vous attendiez à rentrer comme ça dans le cinéma?
M.L. « C’est le cinema qui est rentré en moi. C’est une chose à laquelle ne ne m’attendais pas du tout. J’ai très vite voulu connaitre la technique du cinéma. C’est quelque chose d’extraordinaire. Je me suis intéressé aux caméras etc. Car des fois, je faisais une cascade qui est très difficile à réaliser et quand je regardais les rushes, je trouvais ça banal. Et dans l’autre sens parfois des choses très simples paraissaient extraordinaire à l’écran. Je me suis dit: Il faut que je comprenne la magie de ce truc. Je suis allé tourner un film de Marcel Camus au Mexique et là c’est le directeur de la photo, le grand Max Pantera qui m’a appris la camera, les angles, les positions et tout ce qui permettait de donner de la valeur à ce qu’on faisait. Par la suite ça m’a permis de faire le seconde équipe (la deuxième équipe, sans les acteurs principaux, est chargée de réaliser les scènes d’action et de cascades. NDLR). J’ai fait la seconde équipe sur des films de Terry Gilliam, de Luc Besson,…ce ne sont pas les plus petits. J’ai beaucoup appris avec ça et comme Remy Julienne a pu améliorer les cascades en voiture, moi j’ai pu apporter un travail et améliorer les cascades à cheval. J’ai d’ailleurs été très très ami avec Rémy Julienne, parce que que pendant dix ans j’ai doublé Louis De Funes, et on travaillaient ensemble sur les gendarmes notamment.. Et puis à un moment où ça allait un peu moins bien ou on ne faisait plus de films d’époque, il m’a sauvé de la faillite. Il m’a dit « viens travailler avec moi. Tu es doué à moto, tu va faire les cascades moto ». J’ai fait des centaines de cascades à moto, mais ça n’est pas du tout la même chose par rapport au cheval. Vous êtes bardé de plastique, vous tombez de 5 centimètres de haut. Si vous ne heurtez rien, vous ne risquez rien, vous glissez. Et ça c’est la grande différence avec la cascade cheval qui est beaucoup plus difficile.«
(Tournage de Jeanne d’Arc avec Luc Besson, 1999. Photos © luraschi.com)
S.H. Est-ce que le cheval crée une relation spéciale entre vous et les comédiens?
M.L « Il y a l’envers du décors et ça c’est la préparation des comédiens. J’ai une très belle complicité avec eux car ils sont deux mois et demi, trois mois chez moi. Et la qualité de ce qu’on verra à l’image dépend beaucoup de mon équipe et de moi même et de ce qu’on transmet aux comédiens. Une grande satisfaction est de faire aimer le cheval aux comédiens. Je prends l’exemple d’Alex Lutz qui maintenant fait un spectacle avec des chevaux sur scène, il est devenu un grand ami à moi. Un Monsieur comme Philippe Noiret. Il est venu un mois, tous les jours, chez moi pour s’entrainer pour La fille de D’Artagnan. Il n’en avait pas besoin, mais c’était juste pour monter des chevaux de haute école. Et le cheval de haute école sur lequel il a travaillé, il me l’a acheté à la fin. Ce fut son dernier cheval. C’est aussi une grande satisfaction pour moi de faire découvrir au comédien parfois un monde qu’il ne connait pas. C’est le plus beau lavage de cerveau au monde! Quand vous avez des soucis, vous partez en foret à cheval et il vous porte. Il passe partout. Vous pouvez respirer et ça vous fait reprendre. C’est l’animal le plus proche de l’Homme. On a l’habitude de dire c’est le chien. Mais non. le chien il est gaga de vous. Le cheval il n’est pas gaga de vous. Pour qu’il vous respecte, il faut d’abord le respecter. Lui montrer que vous êtes quelqu’un de doux, d’agréable et à ce moment là la complicité va se faire. Le chien, il va vous aimer même si vous êtes un enfoiré. »
(Tournage Napoleon avec Christian Clavier, 2002. Photos © Luraschi.com)
Certains dans cette génération dorée du cinéma m’ont étonnés. J’ai déjà parlé de Noiret, mais il y a eu aussi Bernard Giraudeau qui a été passionné. Maintenant ils sont partis… mais dans la nouvelle génération il y a aussi de vrais passionnés. J’en ai encore retrouvé dernièrement dans Les trois Mousquetaires…Vincent Cassel… On a tourné ensemble Blueberry. Il devait choisir son cheval et je lui en ai fait essayer une soixantaine. Une complicité s’est créée. C’est un ami dans la vie Cassel. Ou il y a encore Pio Marmaï ou François Civil ou Romain Duris, ce sont des acteurs qui ont fait Les Trois Mousquetaires et qui sont devenus des amis dans la vie.
(Tournage Les Trois Mousquetaires, Milady,avec Romain Duris, 2023. Photo © @cavalacade_marioluraschi)
« Les gens qui critiquent généralement sont ceux qui ne savent pas. »
S.H. Vous travaillez dans le respect du cheval. Mais vous craignez qu’un jour on ne puisse plus utiliser de cheval, compte tenu de la tendance, parfois extrême, de certains à critique l’utilisation du cheval, au nom du « bien être animal »?
M.L.: « Il y a une chose à laquelle il faut faire vraiment attention, c’est au « protecteurs d’animal dans un appartement ». Ce sont des gens qui ne connaissent rien et qui ne font que critiquer car il le font sur la base de mauvaise choses. Ce n’est pas parce que vous avez mis un petit coup de stick à un cheval pour donner un ordre que vous le maltraitez. C’est exactement comme si vous vouliez retirer le chef d’orchestre parce qu’il a une baguette à la main. C’est aussi débile que ça. Mon stick, il sert de commande, pas pour réprimander. La meilleure preuve, c’est que quand je l’agite dans tous les sens autour de la tête de mon cheval, il s’en fout complètement. Le problème c’est d’être critiqué par des gens qui ne savent pas pourquoi ils critiquent. Des gens qui ont une opinion complètement fausse. C’est ça le plus grand danger. C ‘est ce que j’ai dit à tous mes amis qui ont des animaux, défendez-vous!
Il y a des choses qui ne doivent pas arriver. L’exemple de la Championne Olympique (Charlotte Dujardin, NDLR) qui frappe un cheval, ça ne se fait pas. La manière dont elle agit, ça ne se fait pas. On peut réprimander un animal d’une autre façon que celle là. Je suis contre ce genre de choses, mais en même temps je vais la condamner pour ça, mais pas pour tout ce qu’elle a fait dans sa carrière. On vous condamne pour un vol à l’étalage, mais pas à vie. On ne brise pas une carrière pour ça. Elle peut avoir aussi des circonstances atténuantes. Comme tout le monde, elle peut avoir eu une mauvaise journée, des problèmes avec son mari, un enfant malade, des problèmes psychologiques, que sais-je…Il faut tenir compte de toute sa carrière. Il faut tenir compte de tout et ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Si la fille a été Championne Olympique, ce n’est pas par hasard. C’est que c’est une grande cavalière qui a eu de la complicité avec ses chevaux.
J’ai fait trois fois le Royal Horse Show devant la Reine d’Angleterre. Une des fois, en même temps je tournais Les Cavaliers de l’Orage, donc toute ma bonne cavalerie était sur le tournage. J’avais donc emmené un jeune cheval. Et alors que je suis en répétition et que je le fais travailler, à un moment il refuse de faire un truc et je lui donne deux coups de stick. Je ne tape pas comme un sourd. Mais juste deux petits coups de stick pour le mettre en avant. Je me fais siffler par tous les anglais présents. J’ai pris le micro et j’ai dit: Les gens qui me sifflent sont des imbéciles. Parce que je viens de sauver la carrière de ce cheval. Parce que si il apprend qu’en rentrant en piste il peut me dire en permanence va te faire voir , sa carrière est finie. Donc il faut comprendre ce genre de choses. Par contre, moi je ne vais pas donner une correction derrière le camion pour que personne ne me voie et sans que le cheval sache pourquoi il a cette correction. Une fois que je leur ai expliqué ça ils m’ont tous applaudi. Il faut bien entendu garder une certaine mesure en tout, mais il faut aussi toujours expliquer aux gens qui ne savent pas. »
(Les Cavaliers de l’Orage, 1984, Photo © Luraschi.com)
S.H.: Vous avez 76 ans, vous vous voyez continuer jusqu’à quand? Parce que ce n’est pas toujours de tout repos.
M.L. : » Tant que tout va bien et que je reste élégant à cheval je continuerai. Par contre le jour où je ne serai plus élégant ça voudra dire que le jour de la retraite est arrivé.
Dieu merci, j’ai mon fils (Marco) qui est très bon cascadeur, très bon voltigeur, dresseur et en plus très bon acteur (il vient d’ailleurs de recevoir le prix du meilleur acteur au Festival francophone d’Angoulême.NDLR). Mais si je n’avais pas eu d’enfant, je l’aurais fait reprendre par quelqu’un de passionné.«
S.H.: Vous vous rendez compte que vous avez créé quelque chose dans le monde du cinéma?
M.L.: « J’ai en tout cas été souvent copié. C’est que je n’étais pas vraiment mauvais. Car on ne copie pas ce qui est mauvais. Et j’ai apporté beaucoup de choses à un moment où ça n’existait pas. Je suis fier d’avoir reçu la légion d’honneur ou d’avoir récemment porté la flamme olympique, moi immigré, je remercie la France. Mais ce qui me rend le plus heureux c’est d’avoir pris du plaisir et fait des choses. Je n’ai rien créé car dans le cheval on n’invente jamais rien. Vous comprenez, depuis cinq mille ans tout a déjà été fait. Mais j’ai fait évoluer. En fait, vous ne faites que remettre au goût du jour quelque chose que quelqu’un a déjà fait. »
S.H: SI vous deviez vous souvenir d’un seul cheval, lequel serait-ce?
M.L: « J’ai eu un cheval qui s’appelait « Tchepa ». Parce que quand on me demandait son nom, je disais « j’sais pas ». C’est un cheval que j’ai rencontré en Espagne, que j’ai perdu car la personne qui l’avait ne voulait pas me le vendre. Et puis je l’ai retrouvé un an et demi après à Saint Martin de Crau. et j’ai racheté le cheval et c’est devenu mon meilleur cheval de cinéma. Avec un cheval comme ça on est encore plus proche qu’avec sa femme. Vous avez un complice extraordinaire, une force tranquille et vous pouvez compter dessus. Et ça c’est le plus beau cadeau qu’un animal puisse vous faire. Il faut mériter sa complicité.«
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