En 2025, Gilles Thomas a transformé le circuit mondial en terrain de jeu : champion du Longines Global Champions Tour, champion de la Global Champions League, champion d’Europe par équipe, médaillé de bronze individuel, vainqueur des Grands Prix de Paris, New York et encore impérial dans le Grand Prix 4* de Stockholm (voir l’article ici). Une saison « extrême ». Derrière ce phénomène, il y a un homme discret, patient, méthodique : son oncle, Marc Van Dijck. SoHorse est allé à la rencontre de celui qui a façonné, sans projecteurs, le phénomène Thomas
« Cette année, c’est une année extrême »
Quel regard portez-vous sur l’année 2025 de Gilles, sur ce qu’il a réalisé ?
« Cette année, c’est vraiment “une année extrême” pour lui. Il a eu une très, très belle année. Avec le Global surtout, la victoire individuelle, la victoire en équipe, c’est un peu un rêve. Faire mieux que cette année, ce n’est pas facile. »
L’homme qui parle n’a pourtant rien d’un optimiste naïf. Marc Van Dijck a lui-même connu les championnats d’Europe, les finales de Coupe du monde, les victoires en Coupe des nations à Aix-la-Chapelle ou Dublin. Quand il qualifie une saison « d’extrême », ce n’est pas pour faire joli.
Ce qui l’impressionne le plus n’est pas seulement la moisson de résultats, mais la manière.
Qu’est-ce qui vous a le plus impressionné dans ses performances cette année ?
« Le championnat d’Europe, c’est déjà quelque chose de très important pour lui, avec l’équipe. C’est toujours bien de gagner avec l’équipe. (C’est celui qui a remporté la Coupe des Nations d’Aix-la-Chapelle et Dublin qui vous le dit, ndlr.) Les playoffs du Global aussi, c’était impressionnant ce qu’il a fait, car c’était vraiment difficile. Il a eu beaucoup de bons moments cette année. »
Pour comprendre Gilles Thomas, il faut revenir au début : un gamin fou de sport qui traîne dans les allées d’écurie de son oncle.
Retour en arrière, comment tout cela a t’il commencé?
« Il a commencé à monter, je pense, vers six ans, sept ans, quelque chose comme ça. À ce moment-là, c’est moi qui faisais encore le sport. Il m’a toujours suivi, il a toujours été intéressé. Il a toujours été un peu dans mes jambes. Il a fait beaucoup d’autres sports aussi : un peu de tennis, un peu de karting… Il aimait bien le cyclocross aussi. Un peu de tout. »
Pas de destin tout tracé, pas de “prodige” qui naît déjà en veste de concours. Juste un enfant qui aime le sport, tous les sports, et qui vit littéralement à l’écurie.
Quand il s’est décidé pour l’équitation, c’était vous la personne la mieux placée pour l’aider ?
« Oui, forcément. C’est mon neveu, donc ça change beaucoup. Il a toujours été ici à l’écurie avec moi, je l’ai un peu considéré comme mon propre enfant. Il venait le matin et passait toute la journée ici, avant même de vraiment monter. Moi j’avais des chevaux, de bons chevaux pour lui, donc on avait la matière pour travailler. »
Dès le départ, il y a donc un environnement que peu de jeunes cavaliers peuvent s’offrir : un mentor expérimenté, une structure, des chevaux, un rythme de travail.
Pas de poneys, mais déjà une machine bien réglée
Gilles n’a jamais eu sa période poney-club rose bonbon. Il plonge directement dans le grand bain.
Dès le départ, vous aviez un plan pour l’amener au plus haut niveau ? Ou ça s’est fait step by step ?
« Non, pas du tout. On a vraiment commencé step by step. Il n’a pas fait les poneys, il a commencé à 12 ans en scolaires. On n’avait pas vraiment de poney, donc il a commencé directement avec les chevaux. On voulait qu’il finisse ses classes comme ça. C’est toujours mieux pour apprendre. Et on voulait voir alors comment ça allait se passer. Et puis il a fait les championnats d’Europe scolaires. Résultat : champion d’Europe. Puis Juniors : champion d’Europe. Et Jeunes Cavaliers : champion d’Europe aussi. »
Le “step by step” finit par ressembler à une gifle envoyée à sa génération : champion d’Europe dans toutes les catégories jeunes, accumulant au passage les titres nationaux.
Mais pour Marc, le vrai tournant, c’est l’âge, pas les médailles.
« En scolaires et Juniors, ils sont motivés, mais on ne sait pas encore si ça va continuer. À partir de la catégorie Young Riders, ils ont 19-20-21 ans, là ils savent déjà plus ce qu’ils veulent. Là ça devient plus sérieux. »
C’est précisément là que le système Van Dijck prend toute son ampleur.
À presque 60 ans, lever le pied pour lui ouvrir la route
À l’âge où certains songent à ralentir, Marc décide, lui, de réorganiser sa vie autour de son neveu.
À ce moment-là, vous vous dites : “Maintenant, on va mettre toutes les chances de son côté” ?
« À ce moment-là, j’avais déjà presque 60 ans. Je me suis dit : “Je vais diminuer un peu, et lui il est tellement motivé et il monte assez bien pour prendre le même chemin que moi.” »
La phrase a l’air simple. Dans la réalité, ça veut dire : refaire toute la mécanique de l’écurie autour d’un jeune cavalier de 20 ans.
Concrètement, comment l’avez-vous aidé ? Vous avez cherché des chevaux pour lui ?
« Oui, j’ai tout pris en main pour lui. Carine (sa femme, ndlr), elle, fait les papiers. J’ai construit tout le système autour de lui. Je parlais avec les propriétaires, je m’occupais des jeunes chevaux, je faisais les choix, j’organisais les choses. C’est beaucoup de travail. J’étais très motivé pour le faire réussir. On va essayer de continuer à avancer comme ça. Mais continuer aussi bien que maintenant, ça va être difficile. »
C’est là que naît la version “pro” de Gilles Thomas : un cavalier talentueux, oui, mais surtout entouré par un système solide, pensé, assumé.
Les hauts, les bas… et la vérité sur les chevaux
Marc n’enrobe pas la réalité : une carrière de cavalier, ce n’est pas une ligne droite vers le sommet.
Il y a eu aussi des moments difficiles ? Des moments de doute ?
« Oui, bien sûr. Ça va toujours un peu up and down. On se dit parfois : “Ça ne peut pas continuer comme ça, ce n’est pas possible”. C’est sûr qu’un jour ça va redescendre un peu. »
La leçon, il la transmet à son neveu, en mode prévention plutôt qu’en mode panique.
Vous en parlez avec Gilles ? Vous le préparez à ça ?
« Oui, on en parle. Je lui dis toujours : une année comme celle-ci, ce n’est peut-être pas tous les ans. Ça va peut-être un peu moins bien à un moment. Donc ça doit le pousser à continuer à travailler. Ça doit forger son caractère, pour continuer à travailler. C’est comme ça pour tous les cavaliers : être bon cavalier, c’est important. Mais il faut aussi avoir les bons chevaux. Ça reste la base. »
Et il sait de quoi il parle.
« Oui, bien sûr, j’ai eu des très bons chevaux. J’ai monté Goliath, Cumano. On a vendu Goliath, puis il est revenu. Cumano je l’ai monté jusqu’à l’âge de 10 ans. Et puis il est parti. Pour tous les cavaliers c’est comme ça. »
C’est aussi cette expérience-là qui nourrit aujourd’hui la gestion de l’écurie de Gilles : densité de chevaux, patience, et zéro illusion sur la fragilité du haut niveau.
Au milieu de tout ça, il y a un point sur lequel Marc ne transige pas : la tête.
Sa plus grande qualité ?
« Il a vraiment le feeling. Quand il arrive dans les grands concours, les plus grosses épreuves, il reste calme. Il sait aller vite en piste et il sait gagner. Depuis petit, il a toujours eu du talent pour le sport, pas seulement à cheval. C’est ce type de cavalier qui, quand il essaie un sport, arrive vite à bien faire. Et il est aussi très malin. Quand les enfants sont bien à l’école, généralement ils sont bien dans le sport. »
Marc n’est pas fan de la mode “j’arrête l’école pour être cavalier”.
« On voit beaucoup de jeunes aujourd’hui qui ne vont plus à l’école et veulent juste être cavalier. Pour moi c’est une erreur. Gilles, il est allé à l’école jusqu’à 20–22 ans. Il a fait des études supérieures. Et ça ne l’a pas empêché de faire sa carrière puisqu’en même temps il a été champion d’Europe. Jeune cavalier, il avait déjà été cinq fois champion de Belgique. Je crois qu’au total, il a été sept fois champion de Belgique. Ça ne l’a pas empêché de réussir sa carrière sportive. Pour moi, c’était important qu’il fasse ses études. On ne sait jamais ce qui peut arriver dans une carrière, c’est bien d’avoir quelque chose à côté. Et ça forme aussi la tête, la manière de réfléchir. »
Résultat : aujourd’hui, Gilles a son propre style.
« Chaque cavalier a son style. Gilles a le sien, c’est le style “Gilles Thomas”. Il a pris certaines choses de moi, mais il est plus fin que moi. Moi j’ai commencé avec les poneys et on n’avait pas l’encadrement qu’il a eu. Ni les bons chevaux dès le départ. Il a eu tout pour y arriver. Moi, j’ai commencé avec moins, j’ai dû tout construire. »
Dans le deuxième épisode, on plongera dans l’autre versant de l’histoire : la gestion du top 5 mondial, la place d’Ermitage, les jeunes qui montent, les tensions, les disputes… et pourquoi Marc ne veut pas sacrifier les chevaux pour un numéro 1 mondial.