Ce week-end, Martin Fuchs était parti pour un triplé historique dans le Grand Prix de Genève mais c’était sans compter sur un parcours d’anthologie de McLain Ward associé à une HH Azur des grands jours. Une victoire remplie d’émotions à tellement d’égards. L’an dernier, on aurait pu penser que l’heure de la retraite était arrivée pour la grande baie mais 2022 se révèle être l’année de la renaissance. A 16 ans, Azur a sauté sept Grands Prix … tous sans faute, « Juste un avec un point de temps mais ça, c’est la faute du cavalier » s’amuse McLain Ward. Parmi ces épreuves, on compte les trois majeures que sont Aix la Chapelle, Calgary et Genève … avec une victoire à la clé !
Une histoire qui n’aurait jamais pu se dérouler sans l’intervention de son partenaire de toujours, le belge François Mathy, double médaillé de bronze des Jeux de Montréal, qui est allé rejoindre le double médaillé d’or Olympique par équipe américain sur le podium de Genève. Une équipe soudée qui, malgré son impressionnant palmarès, a su continuer à profiter des choses simples. Quelle belle image de voir à l’aube de ses 78 ans, François Mathy mettre Mclain Ward à cheval sur cette incroyable jument, lors de la remise des prix.
Pourtant l’histoire aurait pu être toute différente… ou n’aurait même pas dû exister! En 2005, Sion vd Zuuthoeve arrive à l’insémination. Son éleveur a fait son choix : ce sera Argentinus! Pourtant lorsqu’elle quitte le centre d’insémination, elle est pleine de Thunder vd Zuuthoeve, un fils d’Argentinus … sans le consentement de son propriétaire ! L’année suivante, Azur verra le jour.
La jument débute en concours avec le cavalier brésilien Pedro Nolasco, installé depuis de nombreuses années en Belgique. Il l’emmène jusqu’en Grand Prix. Rapidement, elle se fait remarquer et évidemment aussi par François Mathy.
« C’était une jument très spectaculaire qui attirait les regards. Elle était largement au-dessus des obstacles et elle avait l’air d’être une très bonne jument… mais qui en principe n’était pas à vendre. On l’avait demandée plusieurs fois… mais son cavalier avait décidé qu’il irait aux Jeux Olympiques avec cette jument. On s’amusait beaucoup de cette histoire, de ce cavalier qui tournait sur le circuit régional et qui d’un coup, ce serait qualifié pour les Jeux Olympiques. Il y croyait fermement. Néanmoins, un jour, il a eu quelques soucis financiers. C’était malheureux pour lui car il était persuadé que cette jument était le cheval de sa vie. La jument s’est donc retrouvée sur le marché. C’était assez cher pour l’époque. Je suis allé l’essayer… mais le lendemain, je croise Eric Lamaze qui cherchait un crack cheval pour une cliente. Je lui renseigne donc cette jument qu’il essaie directement. Il saute alors énormément avec la jument. Elle était fantastique. À tel point qu’il m’a appelé pour être bien sûr que la jument sautait toujours comme cela. Mais pendant l’essai, la jument s’est arraché un fer. Pedro Nolasco a stoppé l’essai et attendu l’arrivée de son maréchal ferrant pour continuer… la jument avait déjà beaucoup sauté, avait refroidi et quand il met la cliente dessus, la jument saute un peu moins bien et il décide de ne pas donner suite à cette histoire. Mais cette jument n’est pas sortie de ma tête et j’ai rappelé Nolasco en lui demandant de m’amener la jument aux écuries. Nous avons sauté avec elle, elle était super. Je lui ai demandé pour la garder quelques jours … et elle sautait de mieux en mieux. Je décide donc de l’acheter… mais quand on l’a mise sur la volte, elle était boiteuse ! Je lui propose alors de reprendre la jument quelques jours … et de lui envoyer un vétérinaire dans quelques jours pour faire une nouvelle visite si elle n’est plus boiteuse. Quatre jours plus tard, je l’appelle et Pedro Nolasco m’explique que la jument vient d’être referrée et que c’est mieux d’attendre un jour ou deux supplémentaires. Je me dis que l’histoire ne sent pas très bon… mais j’envoie quand même le vétérinaire quelques jours plus tard. Celui-ci me dit qu’il n’a pas un bon sentiment avec cette histoire mais il va quand même l’examiner. Là, on découvre que la jument a un souffle au cœur!
Mais je m’acharne et fais envoyer la jument à l’Université de Liège pour un test à l’effort. On était avec une jument qui coûtait pas mal d’argent, qui avait été boiteuse et qui maintenant avait un souffle au cœur! Finalement, les spécialistes de Liège ont été rassurants en précisant qu’il y avait bien un souffle au cœur mais rien qui pourrait compromettre sa carrière sportive. Après toutes ces péripéties, j’achète donc la jument et j’en vends rapidement une partie à Pénélope Leprévost en lui mettant la jument au travail. Mais à cette époque, Pénélope avait un piquet de chevaux très important et la jument était trop verte pour l’accompagner en concours. Elle l’a envoyée un moment chez Michel Robert qui l’a adorée et qui m’a demandé pour en acquérir une partie mais cela ne faisait pas partie de mes plans. Finalement, le vétérinaire de Pénélope lui trouvait toujours un petit quelque chose et pour lui, la jument n’était jamais à 100% ! C’était à chaque fois des petites choses mais où il fallait toujours attendre. Les mois passaient et nous avions Diego Perez Bilbao à cette époque aux écuries. J’ai donc appelé Pénélope en lui disant qu’il fallait quand même que cette jument aille un jour au concours et que j’allais la reprendre. Une fois arrivée aux écuries, la jument était en parfaite santé et Diego l’a emmenée en concours. Rapidement, il y a eu beaucoup d’intérêt autour d’elle qui montrait clairement qu’elle sortait de l’ordinaire. Les frères Hendrix, la famille Fuchs, Beezie Madden m’ont appelé et juste avant d’aller au Gucci Paris Masters, j’ai appelé McLain Ward en lui disant que je pensais qu’il devait venir la voir sinon il risquait de vraiment rater une bonne jument. Je ne voulais pas qu’il regrette de ne pas l’avoir essayée. Il est venu à Paris pour la voir dans le Grand Prix deux étoiles. Quand il est revenu à la maison juste après le concours pour essayer la jument, elle sautait très bien … mais McLain n’était pas totalement convaincu par la jument qui ne changeait pas vraiment de pied. Il propose quand même la jument à Hunter Harrison qui accepte mais pas pour la totalité. C’est vrai que j’en voulais quand même pas mal d’argent alors que la jument n’avait pas trop de performance… mais les bons chevaux, c’est toujours comme ça! Elle montrait néanmoins un potentiel sortant de l’ordinaire. Finalement, j’accepte de ne leur vendre que la moitié. Au final, McLain l’a achetée parce que j’ai poussé et insisté et lui comme monsieur Harrisson m’ont fait confiance.
Par la suite, nous avons eu énormément de sollicitations mais nous avions un gentleman agreement pour que McLain puisse la conserver. Nous avons toujours fait beaucoup d’affaires ensemble et cette jument elle-même nous a permis de faire d’autres affaires avec la publicité qu’elle a fait en plus du plaisir qu’elle nous a procuré. Je pense que McLain a eu de la chance de tomber sur cette jument mais je pense que la jument a eu beaucoup de chance de croiser la route de McLain. Faire une telle carrière est exceptionnel. Avoir une jument de seize ans qui a gagné tout ce qu’elle a gagné, traversé la planète dans tous les sens et qui est dans l’état dans lequel elle est aujourd’hui : c’est unique! Elle a des jambes parfaites et une santé merveilleuse. Cela a demandé beaucoup de soins et de l’attention quotidienne, c’est un véritable exemple. Cette victoire, c’est aussi la persévérance de McLain. Car l’an dernier, beaucoup auraient arrêté et l’aurait mise à l’élevage. Lui, quand elle était blessée, a continué à la soigner, à chercher à l’améliorer. Aujourd’hui, le retour d’Azur au premier plan est aussi dû à un ferrage particulier où ils ont décidé de ne plus clouer les fers mais de les coller ! Toute cette histoire, tout ce qui se passe derrière la scène, c’est formidable. »
Le lien entre McLain Ward et François Mathy est bien loin d’une simple relation d’affaires, la longévité de leur relation est un véritable modèle et ce n’est pas pour rien si l’américain n’hésite pas à qualifier son mentor belge de second papa pour lui.
« Lorsque j’ai vu McLain pour la première fois, il était enfant et frottait son petit poney blanc. C’est extrêmement rare dans ce métier où l’on a facilement des problèmes de tisser une relation aussi longue et où nous sommes encore amis. C’est rare dans les chevaux et en faisant du commerce. Nous avons vécu des moments difficiles mais je l’ai toujours soutenus et McLain a toujours été reconnaissant de ça. Il n’y a pas un seul jour de l’année où McLain ne m’appelle pas. »
Une belle histoire qui continue de se construire. Ce week-end, François Mathy était présent à Genève pour encourager l’équipe… et a fini sur le podium avec McLain Ward, ovationné par le public.
« Voir McLain remporter le Grand Prix procure un énorme plaisir. Il s’agit vraiment de l’un des plus beau Grand Prix du monde, c’est une joie énorme comme seul le sport peut en procurer. C’est une émotion fantastique. Cela fait évidemment plaisir aussi de se retrouver sur le podium et cela procure de la satisfaction de voir que ce que j’ai fait durant ma vie n’est pas oublié. Je suis très étonné et heureux de voir tous les messages que j’ai pu recevoir de gens partout dans le monde qui ont, eux-mêmes, été émus de voir cette jument dans cet état. C’est la réjouissance et le plaisir d’une équipe très nombreuse. C’est vraiment une belle histoire. Aujourd’hui, on voit beaucoup d’histoires d’argent mais à Genève, c’était une soirée exceptionnelle avec plein d’émotions. Ce sont des moments qu’on ne peut pas acheter, c’est impayable. »
Véritable passionné, François Mathy aura pleinement profité de sa journée : « Sincèrement, j’ai aussi beaucoup aimé les adieux de Clooney. Le discours de Martin Fuchs était également très bien. Pour Azur, il faut patienter encore un peu car quand on la voit aujourd’hui dans cette condition, il n’y a aucune raison de l’arrêter tout de suite. Quand on regarde, elle a sauté cette année beaucoup moins que les autres chevaux mais la gestion de McLain est juste magnifique. En deux concours, avec sa troisième place dans le super Grand Prix de Prague et sa victoire à Genève, elle vient de gagner 650.000 euros! C’est vraiment un homme intelligent, très perfectionniste qui pense sans arrêt à se remettre en cause en étant extrêmement travailleur. Son équipe est plus que fidèle, cela joue aussi. C’est une belle histoire du concours hippique!»