National du cheval de trait ardennais à Libramont

Publié par Julien Counet le 22/11/2023

Ce samedi 18 novembre, cent chevaux ardennais et 25 poulains s’étaient donné rendez-vous à Libramont bien au chaud au Walexpo. Du poulain laiteron jusqu’aux étalons de dix ans, il y en avait pour tous les goûts. Les spectateurs étaient d’ailleurs nombreux et de tous horizons car si de nombreux observateurs belges étaient présents, on y retrouvait également des Luxembourgeois, des Français, des Allemands mais aussi une forte délégation polonaise…
L’occasion pour nous de faire le point sur cette manifestation avec l’un des juges de l’évènement : Yves Olivier, véritable passionné très impliqué auprès de cette race ancrée dans le patrimoine belge il est d’ailleurs par ailleurs membre du conseil d’administration du Studbook ardennais.

Comment peut-on participer à ce National?

Yves Olivier : « A l’arrière-saison, nous organisons quatre concours qui débutent début septembre à Etalle pour aller jusqu’à Aubel début novembre en passant par Ciney et Bomal. C’est ce que nous appelons les expertises officielles. Elles nous permettent de sélectionner les chevaux qui vont venir ici à ce concours national. L’expertise est une obligation légale pour la reproduction des étalons sur lequel vient se greffer un concours de jument ce qui permet de regrouper plus de monde. Nous avons des éleveurs qui viennent du sud de la province de Luxembourg jusqu’au pays de Herve en passant par une partie de Namur. Pour une question de facilité pour les éleveurs, nous avons décidé d’organiser ces quatre concours durant lesquels on voit défiler aux alentours de deux cents chevaux. On officialise lors de ces concours les étalons qui seront admis à la monte publique pour l’année suivante. Nous avons désormais un protocole sanitaire au niveau de la qualité des membres qui oblige les étalons à passer à Mont-le-Soie avant d’être présentés au concours. La grille de gradation va du Double A au C, en sachant que les C ne peuvent pas être admis. La note vétérinaire est affichée clairement mais en tant que juges, le grade attribué à l’étalon à peux d’influence sur le jugement puisque le conseil d’administration du studbook nous dit qu’à partir de la note B, ils sont aptes à saillir. En tant que jurés, nous sommes là pour juger son modèle et ses allures. C’est donc à l’éleveur lorsqu’il fait le choix de l’étalon pour sa jument d’en tenir compte … ou pas. Le cheval de trait ardennais, comme plusieurs races de chevaux lourds, a des soucis de lymphe-œdème, ce n’est pas un secret. Il faut en tenir compte lors des croisements pour améliorer le grade cela ne fut-ce que pour le bien-être animal qui est de plus en plus présent. Le studbook a la volonté de l’atténuer un maximum. Jusqu’à présent, les juments ne sont pas contrôlées mais nous y venons tout doucement. Dans un avenir assez proche, l’objectif sera également de faire passer les juments devant les vétérinaires à titre informatif. »

Sur quoi se base la décision d’un juge avec des modèles aussi hétéroclites que ceux que l’on voit aujourd’hui?

Y.O. : « Nous avons un modèle type et nous regardons si le cheval que l’on nous présente s’en rapproche. Nous avons un certain nombre de critères qui sont assez bien définis tel qu’une petite tête, la longueur d’encolure le dos tendu … On tient compte d’une masse musculaire et au niveau des membres, on tient compte de l’épaisseur des articulations en vérifiant qu’elles ne soient pas trop grosses et bien séchées. Ce sont des chevaux que l’on utilise plus dans le travail que dans le sport. Tous ces paramètres sont pris en compte et font un tout. On décortique le cheval mais c’est la note globale qui donnera son classement. Nous donnons une orientation aux éleveurs mais, comme dans tous les concours, le classement est là mais le dernier mot revient aux éleveurs. Après je pense que les concours d’élevage sont un plus pour tout éleveur qui veut progresser car il obtiendra une indication d’où se situe son cheval et de voir comment il peut faire progresser son élevage. Cela va lui permettre de faire des choix judicieux dans ses croisements pour toujours s’améliorer. »

On a beaucoup parlé de l’Aratel il y a quelques années, il y a eu plus récemment des croisements avec des Cobs. Où en est-on aujourd’hui ?

Y.O. : « Le cheval de trait a toujours été façonné en fonction de ce que le marché demandait. En faisant un petit historique, on peut voir que le cheval de trait de 1900 était plus un carrossier. Après la première guerre, on l’a alourdi car le brabant, charrue a un soc est arrivé pour travailler la terre et il fallait donc des chevaux un peu plus massifs. Le cheval a continué à travailler jusque dans les années 50-60 où les tracteurs sont arrivés. Après la deuxième guerre mondial, On a mis de la masse aux chevaux pour la productivité de la viande il fallait nourrir la population , on a continué à alourdir les chevaux de trait en allant chercher des chevaux de deuxième zone, c’est-à-dire de la Mehaigne et de la botte du Hainaut. Ce sont des chevaux qui n’étaient pas assez lourds pour aller dans le Brabaçon mais ils étaient trop grand et trop lourd que pour être dans les Ardennais. Certains ont franchi le pas d’aller vers le nord et les autres sont venus dans les Ardennais.  Dans les années 80-90, la consommation de viande chevaline a chuté très fort et il a fallu trouver une autre orientation pour préserver l’élevage. C’est là qu’est arrivé le programme des Aratel au début des années 90 pour essayer d’alléger le cheval de trait … et surtout pour aller plus vite dans l’allégement car on a, au sein de la race, des chevaux plus léger … mais faut-il encore que chaque éleveur ait envie de les utiliser dans leurs choix d’élevage. En croisant dans un premier temps avec des pursang arabe puis quelques années plus tard avec du cob, on a essentiellement gagné du temps. Ca a aussi permis de diluer les sangs mais ce n’était pas le but premier. L’objectif était vraiment de mettre les chevaux au niveau de l’attelage pour leur donner une orientation supplémentaire et permettre au cheval de trait de toujours exister. Aujourd’hui, on constate un certain engouement autour du cheval de trait. Nous enregistrons quand même pas moins de 300 naissances l’année. Cependant, nous avons commis une erreur en montrant le F1 aratel car les gens qui ont trouvé leur bonheur avec le croisement direct entre les pursang arabes et les traits ont trouvé de véritables formule 1 et se sont ensuite dirigé vers d’autres races de chevaux. Ces utilisateurs ont vraiment eu de chouettes chevaux d’attelage et de compétition mais ils n’ont pas retrouvé le même allant lorsqu’ils se sont retrouvés avec des chevaux de deuxième ou troisième génération. Aujourd’hui, le programme est toujours en cours mais avec moins d’éleveurs. On se rend compte que les futurs propriétaires d’Ardennais cherchent aujourd’hui des chevaux montés et attelés. L’ASBL des Ardennais Belges, ainsi que d’autres groupes, présentent des spectacles avec des Ardennais montés et attelé aussi bien par des jeunes cavaliers qu’avec des meneurs aguerris et les gens se sont rendu compte que les chevaux de trait faisaient autre chose que du débardage et de la décoration dans les prairies. La force du cheval de trait est que c’est un cheval à «sang froid» qui peut rester la semaine dans la prairie et que l’on peut sortir le dimanche que ce soit pour le monter ou l’atteler sans risquer de récolter des coups de rein. »

Quand on voit toutes les utilisations possibles du cheval de trait, c’est difficile d’avoir un modèle type? On voit ici des chevaux très différents d’ailleurs.

Y.O. : « Le modèle ardennais n’est pas figé. Il a toujours évolué. Comme je le disais, on est parti de chevaux type carrossier qui petit à petit ils ont été alourdi dans les années 60 un modèle type a été défini (critères que l’on peut retrouver sur le site du studbook ardennais) modèle duquel nous essayons de nous rapprocher lors des jugements mais il y a à la fois des chevaux très harmonieux, d’autres un peu plus grands, d’autres un peu plus petits … mais on tient toujours compte dans les classements des allures. Le pas et le trot ont une importance capitale car sans ça, un cheval ne sait pas travailler. Qu’il aille au bois, en ville ou à l’attelage, un cheval doit savoir marcher et trotter ou on ne sait rien faire avec. Comme disent les vieux « pon pi pon d’caval » En Belgique, on tient compte des allures pour 50% de la note globale. Nous sommes obligés de faire ça car c’est vraiment le souhait des utilisateurs. Quant au modèle, les modèles différents viennent des brassages de croisements. On a parfois des têtes plus longues, des encolures plus courtes, un dos plus long, des membres plus fins mais au final, ce qui est important, c’est l’harmonie du cheval. L’œil aguerri et averti du juge le voit au premier coup d’œil mais ce qui est important, c’est de pouvoir expliquer à un éleveur pourquoi son cheval est deuxième ou troisième pour pouvoir lui communiquer une information, c’est ce que nous essayons de faire. Il est certain qu’il y a une différence entre le modèle qui est sur notre feuille et ce que l’on nous présente. Dans l’ensemble, le cheval de trait, c’est un cheval avec une petite tête, assez ouverte au niveau du front avec une belle ganache. C’est la marque de fabrique du cheval de trait ardennais. »


Derrière un concours National comme celui-ci, il y a aussi un enjeu économique et du commerce en vue ?

Y.O. : « Oui, bien-sûr. Un National comme celui-ci regroupe la crème des chevaux ardennais. Il y a de nombreux éleveurs étrangers qui viennent voir. Nous ne sommes plus énormément, du coup, pour éviter la consanguinité, nous sommes quand même obligés d’aller chercher du sang à l’extérieur du berceau race. Nous avons toujours eu des contacts avec les éleveurs français et luxembourgeois mais on voit un réel intérêt actuellement. Les éleveurs polonais sont également très demandeurs de traits ardennais. Des élevages se créent en Roumanie et en Argentine. Chaque année, nous avons plusieurs délégations présentes. Cela fait naître de l’engouement et du commerce. C’est important autant pour les éleveurs que pour la race en elle-même. Quand le commerce se fait facilement, cela crée une émulation et il y a une augmentation, certes légère, des naissances. Mais si on parvient à augmenter ne fut-ce que de 10%, ce serait magnifique. »

Ce concours, c’est aussi une fête pour les éleveurs ?

Y.O. : « C’est une grande fête en quelque sorte étant le dernier concours de l’année alors que la saison débute en juin avec différents concours régionaux qui se déroulent dans les villages. Le gros concours de l’année où il n’y a aucune sélection et où tous les éleveurs sont invités, c’est à la foire agricole de Libramont, fin juillet. C’est le plus grand rassemblement de l’année … mais le « national » est l’apothéose de l’année car même si certains éleveurs ne viennent pas avec leurs chevaux, tout le monde est présent pour voir la tendance qui se dessine au niveau des chevaux et surtout des étalons. Et puis aussi pour un moment de partage et d’entraide car cela reste une fête où l’on veut tous se revoir avant d’attaquer l’hiver. »

Le cheval de trait ardennais a encore de beaux jours devant lui. Préservons le et surtout utilisons le.