Dès le « walk the course », le ton est donné : les cavaliers savent qu’ils vont devoir composer avec un parcours pensé par Grégory Bodot, aussi costaud qu’ingénieux. Mais bon, un Grand Prix Rolex n’a jamais été une promenade de santé. Pour parfaire le décor, une « drache » typiquement belge arrose VIP en visite guidée du parcours et cavaliers indécis qui terminent de compter leurs foulées. Il est temps de lancer les hostilités.

Assez vite, il devient évident que sortir un sans-faute ne sera pas une mince affaire. Les premières tentatives donnent le ton : Thibeau Spits et Impress-K Van’t Kattenheye Z semblent tenir le cap, mais l’ultime oxer en décide autrement.

Les barres volent en escadrille et les abandons se succèdent. Les cavaliers préférant ménager leurs montures pour les prochaines échéances. Mais certaines se retrouvent même au tapis, à l’instar d’Alexa Ferrer au bout du triple Rolex (qui fera des dégâts plus qu’à son tour), ou Jeanne Sadran avec Dexter de Kerglenn, victime d’un stop inattendu. L’airbag n’a pas été de trop. Les blessures sont légères, l’ego, lui, a pris un gros coup.

Même les champions olympiques n’échappent pas aux malices de Bodo. Scott Brash lève le bras. Kukuk limite les dégâts avec 4 points. L’archi-favori Ben Maher se fait surprendre avec Point Break.
Contrairement aux autres, Harry Charles et son Sherlock (Bisquet Balou C x Malito de Reve) semblaient avoir tous les indices pour trouver la voie. Premier sans-faute, sans forcer : « Quand je suis entré en piste, j’avais mon propre plan, que j’avais établi en reconnaissant le parcours. Dès le début, je savais que la combinaison serait décisive.

Pour Sherlock, c’était le parcours le plus difficile de sa carrière et son premier Grand Prix sur herbe. La confiance est essentielle, et il s’est montré très sûr de lui toute la semaine. Même s’il a 12 ans, il progresse encore. Cette saison, il a déjà couru cinq Grands Prix 5* d’affilée avec succès. Sans lui, je serais en difficulté à ce niveau. »
Puis vient le moment suspendu. On ne sait pas pourquoi (enfin si, on sait justement pourquoi ce couple là sera sans faute : Nina Mallevaey et Dynastie de Beaufour (Diamant de Semilly x Cassini II) se démènent.

Le triple est la clé, elle le sait aussi: « La plus grosse décision concernait la combinaison. Au début, j’avais une idée, puis j’ai changé de plan et ça a bien fonctionné. J’ai la chance d’avoir un entraîneur formidable, Helena Stormanns qui me donne confiance et me guide pour faire les bons choix. »
La Lilloise sait qu’elle a déjà accompli quelque chose d’énorme, même si le travail reste immense.

Grégory « Rainman » Wathelet
Comme pour noyer Grégory Wathelet au moment où il entre en piste, le ciel s’ouvre alors au-dessus de Wolvertem. La pluie tombe à seaux. Impossible de voir à quinze mètres, et pourtant sur Bond Jamesbond de Hay (Diamant de Semilly x Kannan) Wathelet poursuit son parcours comme si de rien n’était. Rester en selle relève du miracle, accrocher le sans-faute relève de la classe inter-galactique.

« C’était fou. J’avais regardé mon application météo et je voyais que la pluie devait tomber deux ou trois minutes plus tard. Et en rentrant en piste, j’ai vu les premières gouttes arriver… Honnêtement, c’était terrible. Mais j’étais déjà lancé, impossible de reculer. Bond a été extraordinaire malgré tout. Je le sentais un peu gêné, il essayait parfois de se décaler. Même moi, arrivé dans la ligne du triple, je ne voyais pas très bien… Mais encore une fois, même dans ces conditions extrêmes, il a su se sortir de la situation. C’est un cheval incroyable, mais ça, je le sais depuis longtemps...»



Les places sont chères
À ce stade, on sait déjà qu’on tient une belle brochette de vainqueurs potentiels, mais reste la seconde manche. Pour accompagner le trio: Andres Azcarraga. Le Mexicain n’a pas non plus ménagé ses efforts sous la pluie pour obtenir le tour clair avec Contendros 2 auquel il ne manque pas de rendre hommage.

Luciana Diniz (avec Vertigo du Desert), toujours dans les gros coup, Christian Ahlmann, le métronome Allemand avec Dourkhan Hero Z ou encore Trevor Breen, toujours en forme cette année avec Highland President (Clinton x Kannan), s’invitent à la fête du second tour à la table des cavaliers sans faute.


Puis il y a les invités de dernières minutes au comptoir des 4 points: Petronella Andersson avec Olympke Van ‘T Merelsnest (Vigo d’Arsouilles Stx x Quick Star), Gilles Thomas avec Ermitage Kalone (Catoki x Kannan), Steve Guerdat avec Dynamix de Belheme (Snaike de Blondel x Cornet Obolensky), le Suisse Jason Smith et son Picobello Van’T Roosakker (Kassander Van ‘T Roosakker x Canabis Z) et enfin, Wilma Hellström pour ajouter une deuxième représentante à la Suède avec Cicci Bjn (Ci Ci Senjor Ask x Tornesch 1042). Point barre.


Seconde manche interdite aux cardiaques
On sait que pour les « quatre points » il faudrait un miracle. Seule Petronella Andersson parviendra d’ailleurs à gratter quelques rangs pour finalement terminer 6ème à domicile.

D’autres perdent un peu avec 4 points. Pas cher payé pour Jason Smith après avoir traversé un oxer. D’autres perdent beaucoup comme Wilma Hellström qui quitte le gazon avec 23 points dans la musette. Ça pique.

Reste alors à se partager le podium. Les 3 favoris : Charles, Mallevaey, Wathelet et trois « outsiders »: Diniz, Azcarraga et Breen.
En bon militaire, notre Mexicain se veut lui plus conquérant. Azcarraga va jusqu’au bout. Le chrono 44.44. Aussi carré qu’un lit dans une chambrée de caserne… Il terminera 4ème.


Trevor Breen, lui, assurera la 5ème place avec un train de sénateur de 46.92.
On sait par contre qu’avec les autres, la belle pelouse de Stephan Conter risque d’en prendre un sacré coup.
Harry Charles « Flat out »? Plus ou moins.
« J’ai essayé de monter mon cheval du mieux possible, en fonction de ce qu’il savait et de ce qu’il pouvait donner. Même si j’avais essayé dix fois encore, je ne pense pas que j’aurais pu faire mieux aujourd’hui.

Il y avait une option dans la combinaison que Sherlock ne pouvait pas vraiment prendre, donc j’ai choisi de rester plus prudent. Il est tellement attentif qu’il faut parfois le rassurer, mais le tracé en neuf et neuf foulées était bon. Ensuite, j’ai pris un petit risque sur l’avant-dernier, et je pense avoir été aussi rapide que possible. J’étais vraiment content.»
Son temps 42.75.
Enfoncer le clou
Pour Mallevaey, pas question de tergiverser. En même temps ce n’est pas vraiment dans le tempérament de la Française. Chrono: 40.75!
« Le plan était d’être efficace sans prendre de risques inutiles. Nous avons tenté de passer en huit foulées quand c’était possible, mais parfois il valait mieux rester en sécurité et en ajouter une. Ça a très bien marché. Bien sûr, je savais que des cavaliers très rapides partaient après moi, donc je devais tout donner. »

En ce qui concerne la Brésilienne, il n’a semble-t-il été question de chasser la victoire qu’un très court moment lors de cette deuxième manche. D’ailleurs une faute, anéantit toute ambition et la fin ressemble déjà à un tour d’honneur pour Luciana Diniz, qui n’en perd pas pour autant son sourire.

Restait Grégory Wathelet. Lui chasse le chrono comme d’autres chasse les mouches en plein été. Sans faire de quartier.
« Comme toujours dans un barrage avec lui, il faut trouver la bonne option. Je savais que pour être plus rapide que Nina, il fallait que je fasse huit foulées dans la ligne après le double, alors qu’elle en avait fait neuf. J’ai tenté, mais après la réception de l’oxer, je me suis retrouvé un peu à l’extérieur. J’ai décidé de ne pas prendre de risque et je suis resté en neuf foulées. Ensuite, j’ai quand même essayé de réduire à huit sur la ligne suivante, pour garder une chance. Mais mon cheval a cru qu’il devait sauter l’obstacle à côté, donc j’ai rapidement rectifié et je suis resté dans mon plan.

À ce moment-là, je savais que la victoire s’éloignait, mais il y avait encore une belle deuxième place à prendre. J’ai donc été au bout de mon idée, sans faire de bêtises.»
Au final 40.91. Presque une seconde de retard. Pas besoin de photo finish. La Française tient là sa première victoire en Grand Prix 5* et quelle victoire.



Déjà la grande classe.
Quand on lui demande comment elle parvient à garder les pieds sur terre, malgré cette ascension fulgurante, Nina sourit : « C’est mon éducation, celle de mon papa. J’ai toujours reçu une éducation basée sur le travail et l’humilité. Rester soi-même, ne pas se laisser emporter, c’est très important. Et puis, je crois que je suis quelqu’un qui, naturellement, garde facilement les pieds sur terre. Entre l’éducation et le sport, c’est un bon mélange. J’ai eu de très bons résultats cette année grâce à mes chevaux incroyables et à mon entourage exceptionnel. Mais je sais que j’ai encore beaucoup à accomplir et je reste très motivée.»

Il faut dire que côté entourage, Nina , n’est pas en peine. Outre sa famille, il y a aussi son couple de propriétaires. Également sous le charme de la cavalière de 25 ans:
«Vous savez… c’est impressionnant. C’est une cavalière exceptionnelle et le cheval est incroyable. Et tout ce que je me disais, c’était : « Qui pourra bien nous battre ? » C’est fou, vraiment fou. » Elle a été incroyable. C’est l’une des meilleures cavalières, elle travaille énormément et elle mérite vraiment tout ce qui lui arrive. Avec ma femme Tara, qui est aussi la propriétaire du cheval. Nous avons toujours été fiers de Nina. Qu’elle gagne ou non, elle fournit toujours les efforts. C’est la personne la plus gentille et la plus méritante. C’est la première à l’écurie. Elle s’occupe des chevaux, elle fait parfois le grooming, elle aide pour la sellerie… tous les travaux qui doivent être faits, elle est toujours prête à donner un coup de main. C’est vraiment une jeune femme formidable. » ajoute le Canadien, Mark Rein.

Mais Nina, elle, renvoie les compliments « J’ai eu tellement de personnes à mes côtés, qui me soutiennent depuis des années… mon entraîneur, ma famille, mes amis, mon équipe. Je n’aurais jamais pu y arriver sans eux. ».

Onze mille et quelques pour vivre ça
La « Stephex Team » avait de bonnes raisons de sabrer le champagne à l’issue de cette semaine intense. Outre le fait d’avoir, une fois encore, réussi un évènement comme il n’y en a probablement pas deux, il y avait aussi la satisfaction de la foule présente. Le record des dix mille est écrasé avec une affluence de plus de onze mille personnes rien que pour ce dimanche.
«C’est sans doute la plus belle satisfaction pour nous tous c’est de voir ce monde. Même sous la pluie et surtout rester jusqu’à la fin de la remise des prix. Cela montre un respect pour les cavaliers, mais surtout cela nous fait un énorme plaisir à nous organisateurs. » conclut le maître des lieux, Stephan Conter.

Les résultats complets du Grand Prix Rolex des Brussels Stephex Masters