Genève, mode revanche : la méthode Farrington

Publié par Sébastien Boulanger le 15/12/2025

Frustré vendredi, impérial dimanche. Kent Farrington a remporté le Grand Prix Rolex du CHI de Genève avec la fulgurante Greya, au terme d’un week-end géré comme un manuel de haute performance. Plus rapide que Shane Sweetnam et Thibeau Spits au barrage, le numéro un mondial s’est offert bien plus qu’une victoire : une démonstration de méthode, de lucidité et de force mentale.

Le numéro un ne laisse pas traîner les occasions

Farrington n’a pas discuté. En selle sur Greya (Colestus x Contender), l’Américain a signé le plus rapide des cinq doubles sans-faute du Grand Prix Rolex de Genève, reléguant Shane Sweetnam à plus d’une seconde et Thibeau Spits à plus de deux.

Une victoire nette, propre, sans fioriture. Et pourtant, tout s’était joué bien avant le barrage.

Vendredi soir, la frustration. Dimanche, la réponse.

Deux jours plus tôt, Farrington quittait la piste plus contrarié. Deuxième de la finale du Top Ten Rolex IJRC (voir notre article ici ), il ne digérait pas une occasion manquée avec Toulayna. Non pas une défaite, mais une contre-performance personnelle à ses yeux.

Il l’explique lui-même, sans détour :

« Aujourd’hui, j’espérais vraiment un grand résultat.
J’étais un peu agacé contre moi-même l’autre soir, car ma jument Tulayna a sauté de manière incroyable, mais moi, je n’ai pas monté à mon meilleur niveau.
Je me suis donc mis beaucoup de pression : j’étais venu jusqu’à Genève, je devais montrer que je pouvais mieux monter.
»

Plutôt que de forcer, Farrington a ralenti. Pas d’épreuve le samedi, du plat, du calme, du recul. Une gestion mentale, dictée par une vision très claire de son sport.

Résultat: impérial dimanche. Une domination qui n’a pas laissé beaucoup de doute dans le barrage.

Greya, une trajectoire construite dans le temps

Au cœur de cette victoire, il y a Greya, jument que Farrington n’a jamais brûlée.

« Greya est tout simplement une jument incroyable. Depuis le début, elle a toujours montré un talent exceptionnel.
Il a surtout fallu prendre le temps de la faire évoluer et de la préparer pour qu’elle puisse être au meilleur de sa forme, comme elle l’a montré aujourd’hui.
C’est une jument hors norme, et ses résultats cette saison parlent d’eux-mêmes.
Je ne sais même plus combien de Grands Prix elle a gagnés à ce stade, mais il y en a beaucoup.
»

À Genève, elle a franchi un cap symbolique. Elle dépasse le nombre de victoire en Grand Prix récoltées par Gazelle.

« J’ai eu et j’ai des chevaux formidables. Greya est une jument exceptionnelle, et c’est de loin la plus grande victoire de sa carrière : gagner un Rolex Major.
C’est extrêmement enthousiasmant de voir jusqu’où elle est arrivée et ce qu’elle est devenue aujourd’hui dans le sport de haut niveau.
»

La frustration comme moteur, pas comme fardeau

Farrington ne cherche pas à masquer les doutes. Il les utilise.

« Dans notre sport, la frustration fait partie du jeu.
Statistiquement, on perd beaucoup plus souvent qu’on ne gagne.
Ce qui est le plus frustrant, en revanche, c’est lorsque vous sentez que votre cheval est dans une forme exceptionnelle, mais que vous, vous n’êtes pas au meilleur de la vôtre. »

Et surtout, il rappelle une évidence trop souvent oubliée :

« Pour moi, c’est le sport d’équipe ultime : le cheval et le cavalier doivent se retrouver au même moment pour former un vrai duo.
Dans ces situations, comme vendredi, j’ai parfois le sentiment d’avoir déçu mon cheval, de l’avoir laissé tomber parce que je n’ai pas livré ma meilleure prestation. »

D’où une discipline mentale assumée :

« J’essaie d’utiliser cela comme un rappel : remettre les idées en place, revenir dans le jeu.
Chaque jour est un nouveau départ.
Je ne peux pas emmener avec moi de la frustration liée aux résultats passés quand je monte à cheval.
Je pars toujours avec l’esprit clair.
» La méthode Farrington semble plus que fonctionner.

Un Grand Prix sélectif, un barrage élitiste

Sur les quarante couples engagés, seuls cinq ont déjoué le parcours exigeant de Gérard Lachat, assisté de Grégory Bodo, et le temps imparti extrêmement serré. Pour les 25 ans de Rolex comme du Grand Prix de Genève, on se devait d’être précis.

Certains se sont cassé les dents sur le chrono, rentrant chez eux avec ce point de temps en poche qui pèse lourd, très lourd. Delestre, Fredricson, Coyle, Maher, autant de poids lourds qui ont pu regarder le barrage des tribunes.

Le contender pour le Grand Slam, aussi passe à la trappe. Pas de doublé Top 10 Grand Prix comme en 2015 pour Scott Brash. Sur Hello Folie, c’est avec huit points que l’écossais quitte le Grand Prix et lacourse au Grand Slam. Adieu veau, vache, cochon, couvée…

C’est Piergiorgio Bucci qui s’est invité le premier à la fête du barrage avec un tour parfait d’Hantano (Quasimodo Z x Numero Uno). Le deuxième tour sourira moins au transalpin. 8ème et dernier du barrage, mais n’ayant pas démérité pour autant.

Côté français, Marc Dilasser a marqué les esprits. Auteur d’un tour initial soigné avec Arioto du Gèvres (Diamant de Semilly x Qualisco III) , il a payé une faute rapide au barrage, mais s’est offert une magnifique sixième place.

Sophie Hinners sauve l’honneur des amazones en qualifiant Iron Dames Singclair (Singular LS La Silla x Cardento 933) pour l’ultime round. Là encore propre et sans faute, celle qui avait su conquérir le public genevois termine finalement au pied du podium.

De l’émotion aussi chez Jason Smith, cinquième et premier cavalier suisse du GP avec Picobello van’t Roosakker (Kassander van’t Roosakker x Canabis Z):

« Le concours de Genève est tout simplement incroyable.
Avoir un public aussi présent derrière nous, c’est un rêve.
Pour moi, vivre ce Grand Prix restera gravé. »

Thibeau Spits, tout tenter sans regret

Troisième du Grand Prix, Thibeau Spits a joué le jeu à fond, dès la première manche, où il est passé à trois centièmes du temps limite.

(Qualification pour le barrage de Thibeau Spits pour 3 centièmes. Chaud chaud chaud.)

« Mais j’avais le sentiment que c’était bon.
J’avais commencé mon tour quand même vite.
À la fin, j’ai encore pris un peu de risque pour aller au mur, puis sur les six vers le dernier double.
Je savais que je n’avais pas beaucoup de marge, que le temps était vraiment serré.
Mais j’ai fait mon plan et c’était juste limite. »

Au barrage, le Belge n’a rien retenu :

« J’ai vraiment tout tenté.
Au final, c’était juste un peu trop pour battre ceux qui étaient devant, mais ce n’est pas grave.
Je suis très heureux, vraiment ravi d’être ici et de pouvoir monter dans une épreuve du Rolex Grand Slam.
C’est une compétition qu’on a regardée toute notre jeunesse. »

Lucide sur la suite :

« Mon cheval doit encore prendre de l’expérience.
Sur les six derniers mois, c’est là qu’il a le plus progressé, surtout en compétitivité.
Maintenant, on va voir comment aborder l’année prochaine.
C’est clair que c’est une compétition qu’on va tenter de gagner une fois. »

Sweetnam, encore deuxième… mais pas résigné

Deuxième avec James Kann Cruz (Kannan x Cruising), Shane Sweetnam a joué la carte de la pression maximale.

« Pour être honnête, j’en ai un peu assez de terminer derrière les mêmes.
J’ai souvent été sur le podium juste derrière eux, donc ça commence à me lasser d’être derrière Greya et Kent. » (rires)

Mais sans illusion sur le résultat :

« Même en refaisant un tour idéal, je ne pense pas que j’aurais pu aller plus vite.
Terminer deuxième à Genève, c’est quand même quelque chose de très spécial.
Peut-être que l’année prochaine sera la bonne. »

Cinq jours, voir six

Du côté de l’organisation, Sophie Morel, la Directrice du CHI pouvait se réjouir d’un bilan particulièrement solide :

« Nous avons accueilli 49 200 spectateurs.
Nous avons affiché complet lors de trois sessions.
Les cavaliers l’ont souligné : l’atmosphère ici est vraiment exceptionnelle.
Nous vous donnons rendez-vous en 2026, pour une édition anniversaire des 100 ans. »

Le monument vivant qui pour l’occasion pourrait-être étendu avec une journée supplémentaire. L’organisation voudrait mettre à l’honneur les anciennes gloires qui ont fait le concours de Genève, mais également d’anciennes épreuves qui ont aussi fait l’histoire du CHI. L’idée et la volonté sont bien présentes, reste maintenant à voir la faisabilité.

(Rendez-vous dans quelques semaines du côté de « Den Bosch » pour le prochain Rolex Grand Slam)

Retrouvez les résultats complets du Grand Prix Rolex de Genève ici