Luc Henry, un éleveur olympique de retour dans le circuit ?

Publié par Julien Counet le 30/08/2024

Les Jeux Olympiques ont été une véritable vitrine pour l’équitation et la réalisation d’un rêve pour quelques éleveurs. Parmi eux, le liégeois Luc Henry n’a pas eu la chance de voir de nouveau son afffixe Hero aux JO même si High Star Hero faisait partie de la longue liste australienne. Trois chevaux passés par son élevage étaient bien présents à Paris dont I Amelusina R qui est reparti avec une médaille de bronze par équipe. Une occasion de rencontrer cet éleveur à la trajectoire si particulière. Après la vente totale de son élevage fin 2020 pour se consacrer à l’élevage de pigeons voyageurs, il se dit que Luc Henry aurait fait son retour depuis quelques mois dans le milieu équestre. L’occasion était trop belle pour le rencontrer.

On a vu aux jeux plusieurs chevaux que vous avez élevé mais aussi que vous avez acheté. D’autres faisant partie de la longue liste avant les Jeux. Pouvez-vous nous les citer et nous en dire un peu plus ?

C’est une situation incroyable que d’avoir 4 chevaux qui sont connectés à mon élevage ou à mon activité et qui ont soit été présents soit sur la longue liste des Jeux soit été participants à ces Jeux. High Star Hero qui n’a pas participé, faisait partie de la longue liste de l’équipe d’Australie. Il est issu d’un croisement que j’ai fait cependant il est né chez Vincent Jourdan, c’est pourquoi je pense même que ce soit lui qui est repris comme éleveur. En effet à l’époque je lui ai envoyé pendant plus ou moins deux ans des porteuses pleines, gestantes d’embryons de mes meilleurs juments. C’est ainsi que nous avons élevés quelques poulains ensemble et que sont nés d’autres chevaux de Grand Prix tels que Tinka’s Hero et Gracieux du Pachis. Kheros van’t Hoogeinde qui a participé avec René Lopez pour la Colombie, est un cheval qui m’a appartenu de la naissance jusquà ses 6 ans. Ronny Thys , son éleveur, était le propriétaire de sa mère Geena van’t Roosakker et nous avions un accord entre nous : je supportais tous les frais de transferts en compensation de quoi je pouvais avoir 50 % de ceux-ci. Cette année-là nous en avions eu 3 qui ont donné Korona van’t Hoogeinde, Kageena Hero et Kheros van’t Hoogeinde. Kheros sautait magnifiquement en liberté à deux et trois ans avec de vrais moyens et il est ensuite parti chez Jérôme Guery qui l’a formé et qui en était devenu propriétaire à moitié. Bien que le cheval soit toujours resté très qualiteux, il ne rendait pas à Jérôme la même impression de moyens sous la selle qu’en liberté. En accord avec lui, nous avons fait le choix de le vendre à 6 ans à Charlotte Leoni qui s’est très vite bien entendu avec lui. Le cheval a alors pris une autre dimension et il a rapidement attiré les regards . C’est Monsieur Bertrand Darier qui se l’est offert d’abord pour lui, même s’il est passé rapidement sous la selle de René Lopez… Kinmar Agalux a été élevée par mon associé en Irlande, Gerry Marron. Il avait une jument par Lux qui débordait de sang mais elle manquait un peu de moyens. Je lui ai conseillé d’utiliser Aganix et ce fut d’ailleurs la première jument inséminée d’Aganix en Irlande. Il l’a fait exploiter par Dermott Lennon qui l’a ensuite vendue à la cavalière Thailandaise avec qui elle tourne en GP 5 *. Enfin I Amelusina R est arrivé chez moi à un peu moins d’un an. Je l’avais présenté à 3 ans l’admission du studbook Zangersheide sous le nom de In The Mood R. Il avait été approuvé et avait déjà éveillé beaucoup d’intérêt à l’époque. Il est parti au début de ces 4 ans chez Simon Delestre qui l’a formé et qui est son cavalier depuis lors. Des 4 chevaux, c’est celui qui, avec Kheros, a le plus beau palmarès. Il sont tous les deux basés en Lorraine et coïncidence ou pas Kinmar Agalux a été vue en concours sous la selle de Simon Delestre il y a peu lorsque sa cavalière était dans l’incapacité de monter suite à une fracture. High Star Hero est également passé par la Lorraine lorsque Georges Sassi l’a monté avant qu’il ne soit vendu à Laurent Guillet qui l’a ensuite rapidement commercialisé à sa cavalière australienne.

Ci-dessus : Kheros van’t Hoogeinde – Ci-dessous Kinmar Agalux avec Simon Delestre

Comment avez-vous vécu la sélection de ces chevaux ?

D’un point de vue personnel, je l’ai vécu comme une grande satisfaction mais surtout comme un véritable cadeau car il faut malgré tout beaucoup de chance ne fut-ce que pour déjà avoir un seul cheval aux Jeux Olympiques. Il y a probablement d’autres éleveurs qui auraient mérité autant que moi un tel résultat. La chance et l’alignement des planètes font partie de ce sport et c’est moi qui ai été gâté cette fois ci. Cela ne m’empêche pas malgré tout d’éprouver une joie sincère que je n’extériorise peut-être pas assez selon mes proches. Ce sont probablement les choix du passé qui portent aujourd’hui de tels fruits, mais il faut également des circonstances positives pour que cela puisse être aussi exceptionnel. Sans le manque de condition ou de santé de certains chevaux de tête, les réservistes ne seraient pas ni sélectionnés, ni au départ des épreuves. Ce fut le cas pour I Amelusina qui était le numéro deux chez Simon Delestre et ce fut le cas d’Olivier Perreau qui a remplacé Kevin Staut. Ce sont les circonstances extérieures et non prévues qui ont permis à I. Amelusina et à Olivier Perreau de participer et ainsi d’être médaillé de bronze aux Jeux Olympiques. C’est pourquoi il est essentiel de rester humble et garder les pieds sur terre car nous ne maîtrisons que peu de choses si ce n’est notre alignement et notre attitude. Je suis tout à fait conscient que je ne suis qu’un des maillons parmi tous les maillons de la chaîne qui permet d’atteindre de tels sommets. Nous sommes tous des maillons uniques ou parfois plus rarement multiples de cette chaîne. Sans tout le staff qui entoure le cheval, les grooms, le cavalier, les propriétaires, tout cela serait impossible. Une chaîne ne fonctionne que si tous les maillons sont suffisamment forts et que la chaîne ne se brise pas et l’éleveur est très clairement le premier maillon de cette chaîne. Il est donc un élément essentiel dans tout le processus.

Parmi ces chevaux, I Amelusina R 51 s’est emparé du bronze par équipe sous la selle de Simon Delestre pour la France. Comment l’avez-vous repéré ? Qu’est-ce qui vous a plu chez lui ?

La rencontre avec I Amelusina, c’est un peu le hasard même si je ne crois pas beaucoup au hasard. C’est en fait une histoire un peu similaire à celle de Tic Tac du Seigneur : je me rends dans un élevage pour voir un cheval en particulier et finalement je repars avec un autre. En fait, lors de l’expertise des étalons du KWPN en février 2014, mon amie Andrea Etter (NDLR : fille aînée du grand marchand suisse Gherard Etter, qui est aujourd’hui à la tête d’un élevage de qualité en Irlande) avait repéré un étalon de 3 ans par Namelus et une mère par Chin Chin. Ce jeune étalon avait été élevé par la famille Roelofs et ils en étaient toujours propriétaire. Andrea Etter étant assez proche d’une personne du staff de chez Roelofs, elle savait que le cheval était à vendre et qu’une vente globale de cessation l’élevage était en préparation. Elle m’en a informé et j’ai donc été voir cet étalon de 3 ans qui avait montré d’évidentes qualités lors de la séance de saut en liberté. Cependant lorsque je l’ai moi-même fait sauter chez l’éleveur, il ne m’a pas suffisamment convaincu pour prendre le risque de l’acheter.

I Amelusina R approuvé sous le nom d’ In the Mood R à Zangersheide à 3 ans

Etant donné que je me trouvais sur place et que je savais que tout était prochainement potentiellement à vendre, j’ai demandé aux personnes responsables de me montrer tous les chevaux sur lesquels il y avait déjà un prix de vente. C’est ainsi que j’ai su que la mère de ce 3 ans était à vendre ainsi que deux autres produits. Une petite jument alezane, qui toisait à peine 1,62 m’a ainsi été présentée. C’était une jument trempée dans l’acier et qui rayonnait une énergie débordante. Elle était pleine et presque à terme d’un étalon que je n’aimais pas spécialement et dont le nom ne me revient pas aujourd’hui. De ce fait, je n’ai pas non plus pris le risque de l’acheter et je dois bien avouer que ce fut une erreur. On m’a ensuite présenté un poulain alezan de 10 mois par Dexter R. Ce poulain avait l’énergie et l’aura de sa mère mais il avait les rayons et l’amplitude que son frère de 3 ans par Namelus n’avait pas. Il était grand et élancé et comme il me plaisait beaucoup, j’ai demandé si nous pouvions le voir passer une barre au sol et ensuite un cavaletti dans le petit manège. Il n’avait encore jamais vu une seule barre de sa vie mais ce qu’il a montré ce jour-là a été suffisant pour me convaincre. Il était réactif et très aérien tant dans le saut que dans toutes ses allures. Le poulain est venu chez moi et a grandi avec tous les jeunes étalons de son âge. Il a ensuite à nouveau sauté lors de son second et troisième hiver et il a toujours été un des meilleurs de la classe. Il nous a chaque fois montré qu’il avait beaucoup de moyens et un incroyable respect. Comme pour son grand-père Chin Chin, on pourrait lui reprocher une certaine raideur et de parfois être à faux au galop. C’est probablement ce qui explique pourquoi il est un peu difficile en bouche même si Simon Delestre s’en sort à merveille avec lui. Ceci étant dit, cela ne l’a pas empêché de toujours aller feu et il ne semble ne pas être affecté par la répétition des efforts, exactement comme ce fut le cas pour son grand-père Chin Chin.

Quand et pourquoi vous êtes-vous séparer de ce cheval qui à vos yeux, paraissait si prometteur ?

Quand vous possédez un jeune cheval avec une telle qualité, vous réfléchissez à deux fois avant de le vendre. Cependant, j’ai la croyance que la vie et mon chemin de vie ne sont faits que de rencontres et d’opportunités. Ce sont ces rencontres qui m’ont fait grandir et qui m’ont fait mûrir même si à la fin le résultat final n’est peut-être pas toujours celui imaginé au début de l’aventure. Ce qui fait grandir c’est le chemin, ce n’est pas la destination même si c’est elle qui nous met en chemin. C’est dans ce contexte que je me suis mis en chemin en prenant la décision de céder la première moitié d’I Amelusina R à Philippe Berthol.

En fait, I Amelusina R a été vendu en deux temps. La première moitié a été cédée dans un contexte de collaboration enthousiaste et de projet d’avenir et la seconde moitié, c’est la raison et le souhait d’arrêter qui m’a pousser à sortir d’indivision. Le cheval a donc été vendu pour moitié à Philippe Berthol fin septembre 2016 alors qu’il revenait du Championnat du Monde des Jeunes Chevaux de Lanaken. Philippe s’est arrêté chez moi et alors que nous faisions le tour de mon élevage, il m’a demandé si j’étais d’accord de lui vendre la moitié d’un de mes meilleurs jeunes chevaux mâles et de le mettre à l’exploitation chez Simon Delestre. Je n‘étais a priori pas contre l’idée de nous associer étant donné que notre vision de l’élevage et des bonnes souches se rejoignaient en certains points et c’est ainsi que je lui ai proposé cet étalon. I Amelusina était  au pré et j’ai alors expliqué à Philippe que je le vendais tel qu’il était dans le pré sans devoir le faire sauter. Le cheval avait déjà une visite vétérinaire parfaite que nous avions réalisé 6 mois plus tôt pour l’expertise d’étalons de Zangersheide. J’ai agi consciemment de la sorte car il était important pour moi de savoir si Philippe était prêt à prendre des risques en me faisant totalement confiance. En effet de mon côté, une fois le cheval parti chez le cavalier, j’étais condamné à lui faire confiance et à accepter leurs choix étant donné que nous avions décidé de donner un tiers du cheval à Simon en contrepartie de quoi il s’engageait à supporter les frais d’exploitation du cheval. Il était donc essentiel pour moi de ressentir de la part de Philippe une forme de réciprocité et d’équilibre et à partir du moment où il achetait un cheval cher pour son âge sans l’avoir vu sauter préalablement, cette réciprocité et cet équilibre étaient bien présents. Si Philippe n’avait pas pris ce risque dans ces conditions, je n’aurais pas vendu le cheval. Malheureusement et très rapidement après notre accord, j’ai par deux fois eu la désagréable expérience d’être mis face à un manquement de la part de Philippe. En effet à partir du moment où la réciprocité et le respect de la parole donnée n’étaient pas les mêmes tant pour lui que pour moi et il devenait impossible pour moi de continuer à collaborer et d’avoir un cheval ensemble. C’est pourquoi je lui ai directement signifié de manière officielle ma décision de sortir d’indivision. Il a toujours été clair pour moi que vivre en paix et avec l’esprit serein étaient plus important que de m’accrocher à la propriété d’un cheval. Ne pas savoir si les choses seraient transparentes ou tout du moins si mon partenaire aurait cette volonté de transparence, cette situation n’était pas envisageable pour moi. La confiance dans une collaboration est totale ou alors elle n’existe pas. Je sais par expérience qu’aucun cheval, ni même aucune somme d’argent ne peut nous offrir la paix intérieure. Ce sentiment de paix intérieure ne s’achète pas mais il se cultive et il est le fruit de nos choix et de notre attitude face à la vie. Dans ces conditions, j’ai préféré être cohérent en prenant le risque de ne plus être propriétaire. J’ai ainsi fait le choix de lâcher prise en proposant de sortir de cette situation et en laissant à Philippe le choix d’acheter le cheval et de communiquer ensuite. Pour le cheval il a décidé mais pour la communication, il ne s’est plus jamais manifesté alors que ma porte est toujours ouverte à un dialogue mais ce sera sans langue de bois. Pour la sortie d’indivision, étant donné que j’en étais le demandeur, il était clair pour moi que je devais laisser à Philippe la possibilité de pouvoir décider en premier le fait de racheter ma part ou pas. S’il ne l’avait pas fait, j’aurais bien entendu racheté la sienne et I Amelusina serait revenu chez moi. Toute cette expérience n’est pas négative en soi car cela m’aura permis d’encore un peu plus apprendre de la vie et sur moi-même.  Je suis sincèrement très heureux que I Amelusina réalise la carrière qu’il fasse actuellement tant pour Simon que pour Philippe. C’est la plus belle publicité que je puisse avoir même si très peu de gens pouvaient se douter que si le cheval est arrivé chez Simon Delestre c’est parce que Philippe Berthol a eu le mérite d’avoir osé me faire confiance dans le choix du cheval que je lui proposais. J’ai fait le maximum pour honorer le risque qu’il a pris et il a été récompensé !

Lors de votre vente de cessation d’activité, votre élevage était surtout connu pour faire des top prices mais quelques années plus tard, on voit de très nombreux produits portant votre affixe dans le sport. Est-ce que cette vente n’est pas arrivée un peu tôt ?

Il n’y a aucun regret à avoir et je n’en ai pas non plus. Lorsqu’une décision est prise, je l’assume complètement. A l’époque je n’aurais pas été capable de gérer tout mon cheptel d’élevage et de sport correctement sur le long terme. J’étais seul et quand vous avez autant de chevaux, il y a des choix à faire. Cela va bientôt faire 4 ans que la vente a eu lieu et durant ces 4 années, j’ai pu réaliser ce qui avait encore plus de sens pour moi à l’époque. J’ai aujourd’hui une relation avec ma fille Aurore comme j’en souhaite à tous les parents. Investir son temps dans son métier, c’est important mais investir du temps pour et avec ses enfants, c’est plus essentiel encore. Personne ne quittera cette terre avec son compte banque ou avec ce qu’il a pu acquérir par contre, et je me rends compte que je me répète en disant cela, pouvoir partir le cœur en paix, c’est cela l’essentiel. Je ne voyais pas comment j’allais pouvoir continuer à gérer tout mon cheptel et en même temps être présent à ma fille. Peut-être cela aurait-il pu être possible, mais pour ma part, je ne voyais pas comment y arriver. Alors faire les choses sans savoir si j’allais pouvoir bien les faire, dans ces conditions j’ai préféré arrêter mon activité. La vie va tellement vite et le bien le plus précieux que nous avons, c’est le temps. Je crois que je n’aurais pas supporté de ne pas avoir consacré suffisamment de temps et de présence à ma fille Aurore.

Ci-dessus : Aurore henry avec Osiris de Hus (Arrezzo VDL), frère utérin de l’ancien protégé de son père Picobello van’t Roosakker, acquis par Daniel Etter lors de la vente de cessation du haras de Hus.
Ci-dessous avec Hardy Urus Hero Z (Uricas & Alexandra Hero Z (Aganix du Seigneur & la propre soeur de l’étalon Kassander van’t Roosakker).

Lorsque vous avez décidé de quitter les chevaux, vous n’aviez pas pour autant décidé de quitter le monde de l’élevage puisque vous vous êtes investis dans les pigeons qui vous passionnaient déjà depuis quelques années. Quel est votre bilan après quelques années désormais ?

Le bilan a été fantastique, c’était même presque incroyable. En effet sur la seule génération (naissance 2021) que j’ai joué et entrainé chez moi, et sur les 4 concours internationaux qui ont été courus, nous avons à chaque fois remporté le premier prix provincial et bien souvent avec une série inédite de pigeons qui se suivaient au classement. Au niveau national, nous avons gagné la 2ème place sur le concours de Narbonne yearling en 2022 et la 13eme place sur le concours de Barcelone 2023 avec une équipe de pigeons de 2 ans, ce qui est rare. Il faut savoir que lors de ces concours internationaux, il y a entre 5.000 et 10.000 pigeons belges au départ. Sur ce concours de Barcelone, malgré la 13ème place nationale, nous avons fait une constatation jamais réalisée sur l’Est de la Belgique sur une telle distance. Les 8 premiers pigeons en province de Liège étaient tous à nous et dans le local du Limbourg où nous avions enlogé, le résultat était le même. Ils n’avaient jamais vu cela. Si la direction du vent avait été avec nous, nous aurions fait le premier national et probablemenet que 3 – 4 pigeons auraient pu être présents dans les 10 premiers nationaux.

Est-ce aussi passionnant que les chevaux ? Quels sont les points communs ? 

C’est tout aussi passionnant d’un point de vue de l’élévage. Sans pigeons d’exception, il est très difficile de performer au plus haut niveau et c’est pareil pour les chevaux. Les pigeons sont des animaux grégaires, des animaux de fuite étant donné qu’ils sont presque les proies favorites de certains rapaces et en particulier du faucon pèlerin. Ensuite ils sont granivores alors que le cheval est herbivore. Ils ont une très grande sensibilité comme les chevaux et ont une mémoire impressionnante. Lorsque je rentrais dans le pigeonnier, ils étaient un parfait miroir de l’état émotionnel dans lequel je me trouvais. En fait, les pigeons sont constamment en train d’observer et de vous observer. Ils sont en alerte, dans un état de présence constant.

Pour ce qui est du reste, à part le fait de les entraîner assez mais de trop non plus pour ne pas les démoraliser, le sport colombophile et les sports équestres n’ont rien à voir. Nous dépendons dans le sport colombophile de beaucoup d’éléments que nous ne maîtrisons pas du tout et qui pourtant ont une influence sur le résultat. Avec le cheval, nous maitrisons beaucoup plus de chose du simple fait qu’il n’est jamais en liberté tant à l’entraînement que durant la compétition. Le cavalier et le groom sont toujours maître à bord alors que pour les pigeons nous ne savons jamais ce qu’ils vont rencontrer durant leur vol d’entrainement lorsque nous les lâchons à plusieurs kilomètres du pigeonnier. Des rapaces ou des averses peuvent être des éléments perturbateurs. Ensuite durant les concours, les conditions météorologiques ont une grande importance surtout lorsque la distance est longue comme lors des concours internationaux. Si vous avez par exemple un vent d’est, la masse du concours est poussé à l’ouest et il devient très difficile voire impossible pour les pigeons qui reviennent à l’est du pays de se battre avec les pigeons dont le pigeonnier est à l’ouest. Il faut s’imaginer que ces animaux de 200 gr doivent parfois voler pendant 1.000 kilomètres avec des vents de face ou de côté importants. Vous pouvez alors mieux comprendre qu’ils ne peuvent pas rivaliser avec ceux qui ont un vent plus favorable.  D’autre part, les organisateurs ont également une influence sur tous les concours étant donné que ce sont eux qui décident du moment du lâcher. Peu de gens restent malheureusement suffisamment neutre dans leur décision de lâcher étant donné les enjeux financiers qui tournent autour des frais de transport et du commerce des pigeons d’exception. Nous avons vécu lors du concours de Narbonne un lâcher catastrophique qui avait décimé le concours et des colonies entières et qui avait fait la une des journaux écrits et télévisés.

Est-ce que ce passage par l’élevage de pigeon a changé votre manière de voir l’élevage équin ?

Pas du tout. Je vais même dire qu’il a confirmé certaines choses. Je me suis rendu compte qu’il est très difficile d’élever des cracks avec des reproducteurs qui ne le sont pas eux-mêmes. Nos 3-4 meilleurs pigeons qui ont fait et répété des prix de tête étaient tous issus de cracks pigeons. Tous ! Une autre chose importante que j’ai pu constater et mettre en parallèle est que ce que vit le pigeon ou le cheval durant sa croissance et dans ses premiers mois ou années, ce qu’il vit reste marqué soit dans sa tête soit dans son corps. Leur mémoire corporelle et mentale est à l’image de leur nature, des animaux de proie qui sont toujours sur le qui-vive. Nous devons donc essayer de toujours leur procurer un environnement bienveillant et confortable pour qu’ils puissent grandir et évoluer positivement en évitant autant que possible des traumatismes tant au niveau physique qu’au niveau mental. Ces traumatismes restent et ils sont inscrits en eux comme c’est d’ailleurs souvent le cas chez les humains au moment de l’enfance.

Dernière photo de Prima Donna van’t Paradijs avant sa disparition accompagnée de ses deux dernières filles Kasbah Donna Hero Z et Kannacea Hero Z, toutes deux par Kassander van’t Roosakker chez la famille Bonhomme.

Est-ce que la passion des chevaux vous complètement quittée ?

Elle ne m’a jamais quittée. Elle a été mise en veilleuse pendant un peu plus de 3 ans et aujourd’hui j’accompagne avec joie un jeune couple d’éleveurs belges. Charlotte Vermeire et son époux Rudy Bonhomme sont agriculteurs dans le pays de Herve et je suis convaincu qu’ils portent en eux suffisamment de motivation et toutes les qualités nécessaires pour atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés.

Pour ce retour dans les chevaux, allez-vous essayer de récupérer les souches qui ont fait votre réussite ?

Ce n’est pas vraiment un retour comme avant. C’est même très différent. En effet, j’ai toujours dit et je le répète encore parfois aujourd’hui à Charlotte et à Rudy, ce que nous mettons en place, c’est avant tout leur projet et c’est leur projet que j’accompagne. Les chevaux ne sont sincèrement plus une priorité dans ma vie. Ce qui donne du sens à ma vie aujourd’hui et qui est devenu une priorité essentielle, c’est d’accompagner des personnes ou des projets qui peuvent amener plus de conscience, d’harmonie dans notre société. Ce n’est pas facile de réaliser cela au niveau des chevaux car très peu de personnes ont suffisamment de sagesse et de recul que pour ne pas basculer directement dans l’esprit de compétition et d’appropriation. Cet état d’esprit fausse souvent la relation car l’humain est régulièrement piégé par le désir de gagner à tout prix plutôt que de vivre une expérience de partage. C’est avec cet idéal de partage que je m’engage à faire le mieux possible et avec toute l’exigence nécessaire tant au niveau des chevaux qu’au niveau humain dans ce projet. La pire des choses serait de se mentir. De se mentir sur la qualité des chevaux et de se mentir par rapport à ce que l’on vit. L’authenticité avec soi et avec les autres ainsi que le discernement seront la clé de la réussite pour construire un projet de qualité et un projet durable.

Concernant les souches, j’ai racheté il y a deux ans les deux dernières filles de Prima Donna van’t paradijs que j’avais vendues à Marc Kluskens. En effet nous nous étions mis d’accord sur le fait que le jour où Marc avait un client pour ces juments, je serais prioritaire et c’est ce qui s’est passé. Pour le reste, je dois bien avouer que je ne savais plus qu’il me restait une vingtaine d’embryons congelés chez le vétérinaire qui effectue les transferts d’embryons. C’est lui qui me l’a rappelé au début de l’année dernière. C’est ainsi que sont nés 4 poulains de Kinmar Queen Hero Z (Kassander x Attoucha) qui n’est autre que la mère de Dourking qui a fait le top price à 340.000 € lors de l’expertise de Zangersheide au mois de février. Il y a également des poulains d’une fille de Panama qui sont nés. D’autre part, lors de la vente du haras de Hus, Rudy et Charlotte ont eu la chance de pouvoir acquérir Bikini de Hus qui est une excellente jument de sport et d’élevage de 12 ans à qui on doit déjà plusieurs chevaux de sport qui sautent au niveau Grand Prix. La mère de Picobello van’t Roosaker a également rejoint le groupe de juments reproductrices en collaboration avec Daniel Etter. Nous ne cherchons pas spécialement quelque chose en particulier par contre nous restons très à l’écoute de ce qui se passe autour de nous comme nous l’avons fait lors de la vente de cessation du Haras de Hus.

Bikini de Hus avec ses nouveaux propriétaires, Rudy et Charlotte Bonhomme accompagnés de leur fils Achille.

Pourquoi avez-vous décidé de le faire en vous associant ?

Pour être très clair, je n’ai pas décidé de faire un retour dans les chevaux, j’ai vraiment décidé d’accompagner le projet de Rudy et de Charlotte ainsi qu’une famille d’éleveurs en Irlande, composée de 3 frères. Cette famille en Irlande reçoit chaque année quelques porteuses pleines. Pour ce qui se passe en Belgique, ce n’est plus réellement un projet que je porte pour moi car d’une part je n’y travaille pas et n’y investit pas et d’autre part, je mets en garde Rudy et Charlotte de toutes les difficultés que représentent une telle entreprise et particulièrement l’investissement financier et personnel qui ne sont pas négligeables. On peut par contre réellement parler d’association au niveau de l’élevage car d’une part, nous avons décidé de nommer tous les poulains nés et à naître en utilisant le suffixe HERO et l’affixe HARDY (NDLR affixe de Rudy et Charlotte) et d’autre part, j’ai mis à disposition toute la génétique dont je disposais et eux en retour mettent à disposition leurs installations, les prairies et leur temps. Ils sont motivés par une envie de bien faire et ils vivent ce début d’aventure avec passion mais sans perdre raison. Je dois bien avouer que je suis impressionné par leur investissement personnel dans le travail et par leur réalisme face à ce qui est à faire.

Hardy Neva Donna Hero Z (Nevados & Talisha van’t Roosakker Z (Tornado & Kasbah Donna Hero Z))

Ce n’est pas la première fois que vous élevez en collaboration avec d’autres éleveurs, qu’est-ce qui est différent dans ce projet ?

Ce qui est différent dans ce projet, c’est que c’est la première fois que je suis en relation avec des personnes pour qui le projet humain passe avant le projet cheval. La qualité de la relation humaine et le sens que nous voulons donner à notre vie passe avant le fait de réussir à tout prix. Avec un tel cadre, je reste convaincu qu’ils pourront atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés mais nous sommes d’accord de ne pas le faire si cela doit mettre en danger notre sérénité et notre équilibre. Nous avons une vision de la vie et du monde en général qui nous rassemble. C’est un grand cadeau d’avoir pu se rencontrer. Ce sera un challenge de tenir dans un monde aussi confrontant et exigeant que celui des chevaux. Monde au travers duquel beaucoup de tentations sont présentes. La plus grande tentation est de faire preuve de complaisance en acceptant de faire des choses uniquement par intérêt ou par simple opportunisme par ce que c’est plus facile et plus court. Il sera important de faire confiance à la vie et a ce qu’elle offrira en restant en accord avec nos valeurs. Les plus grandes œuvres ont été bâties pas à pas, c’est pourquoi elles tiennent toujours car elles sont posées sur des bases solides. Rudy et Charlotte sont conscients que ce n’est pas en faisant des compromis pour aller plus vite qu’ils y arriveront à long terme.

Les familles Henry et Bonhomme s’associent pour un élevage de chevaux de qualité !

Quelles sont vos ambitions ?

Pour ma part, je n’ai personnellement aucune ambition au niveau des chevaux bien que je ferai le maximum pour les aider. Je leur ai d’ailleurs demander dès le début quelles étaient leurs ambitions à eux ? La question a été pertinente car il leur a fallu un certain temps avant de pouvoir me transmettre une réponse claire et complète. Même si cela peut apparaître prétentieux, ils souhaiteraient pouvoir créer des choses similaires à ce que j’ai eu la chance de réaliser en tant qu’éleveur à savoir élever ou produire un ou plusieurs chevaux olympiques tels que Bogeno, TicTac, I Amelusina ; élever ou  découvrir des chevaux qui peuvent être atypiques mais qui sortent de l’ordinaire tels que Ayade de Septon, Kinmar Scarlett, Attoucha Hero Z; découvrir et produire un nouvel étalon d’exception comme Aganix du Seigneur ou Don’t Touch Tiji Hero ou Dourkhan Hero Z et enfin pourquoi pas  créer ou révéler une nouvelle souche qui fera date comme celle de Laska III avec sa fille China Touch Hero par exemple. C’est cela qui anime Charlotte et Rudy et c’est cela qui me donne envie de les accompagner. Peut-être est-ce arrogant mais pourquoi ne pas oser avoir de l’ambition ou de hauts objectifs ? Le plus important, est de rester vigilant dans la façon de le vivre, de le construire et de le réaliser. Dans le futur, encore plus qu’aujourd’hui, il n’y aura plus de place et de rentabilité que pour les individus d’exception. Ces chevaux d’exception seront probablement les seuls qui nous permettront de présenter une comptabilité bénéficiaire. Il est important de rêver et de tout faire pour atteindre ces objectifs mais il est tout aussi important de ne pas se raconter d’histoires sur la réalité du marché ni sur soi-même. Il ne faut surtout pas oublier que les poulains qui naîtront en 2025 et 2026 etc. … seront amenés à sauter des parcours de haut niveau en 2034, 2035. Il faut dès aujourd’hui s’imaginer à quoi va ressembler ces parcours pour pouvoir élever le cheval de sport de haut niveau de demain. Le sport a tellement évolué depuis 30 ans et surtout les quelques dix dernières années. Cette évolution ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Il y a de plus en plus de très bons chevaux et la sélection se fera sur l’intelligence et la mentalité du cheval ainsi que sur sa capacité à résoudre les difficultés de plus en plus complexe du parcours. La finale des Jeux Olympiques en est le plus parfait exemple. Durant ces Jeux, nous avons assisté à la quintessence de notre sport. C’est la plus exceptionnelle expérience de championnat que j’ai pu vivre même si ce fut à la télévision. En effet, ce fut remarquable à tout point de vue et nous le devons tant à la qualité des chefs de pistes qu’aux cavaliers et aux chevaux. Parmi ceux-ci c’est probablement Caracole de la Roque qui représente le mieux le cheval que nous serons amenés à élever à l’avenir. J’encouragerai donc Charlotte et Rudy à garder à l’esprit ce dont un cheval a besoin pour sauter des parcours olympiques tout en sachant résoudre toutes les difficultés techniques avec facilité et envie. C’est en gardant cela à l’esprit que nous pourrons espérer élever ce type de cheval…

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