Après la première partie hier, retrouvez la suite de notre rencontre avec Alexandrine Bonnet Dian
Lorsque vous vous retrouvez avec votre objectif d’avoir toutes ces filles de Kannan, ça change votre manière d’élever en devant chercher d’autres étalons ?
« Oui et non car nous avions directement acquis plusieurs filles de Kannan. Au départ, nous allions beaucoup à Quidam de Revel car on trouvait que le croisement Quidam x Kannan marchait bien. On a essayé de trouver des étalons avec des dos très tendu car c’était une des rares choses qui faisait défaut chez Kannan. Personnellement, j’envie les éleveurs qui savent déjà au mois de septembre ce qu’ils vont utiliser l’an prochain. Personnellement, j’y pense tout le temps … mais je change encore d’avis le jour avant la saillie. Zandor Z, lorsque je l’ai utilisé, j’ai sailli trois juments l’année des B et cinq l’année des C. J’aimais bien sa production et je trouve que tous les Zandor que je voyais sautaient avec une manière qui me plaisait. Ce n’était pas classique mais il y avait de l’électricité. Ce qui me plaisait, c’est que ce n’était pas spécialement des chevaux de 5* mais des chevaux qui avaient ce petit truc en plus, cette énergie. Comme Zorro Z, le petit cheval d’Edwina Alexander, que j’adorais. Cette légèreté, cette manière de quitter le sol, je trouvais que c’était quelque chose qui manquait chez nous. Zandor a été une certaine obsession pendant deux générations. Cela a été un peu pareil avec Armitages Boy. J’en ai fait trois l’année des F et j’en ai refait plusieurs par la suite. Cette année, je me suis dit que j’allais le mettre sur toutes mes juments … puis j’en ai vu deux qui ne me plaisaient pas et comme j’avais entendu des échos négatifs, je me suis laissé influencée. Je me suis dit que j’avais eu trop de chance avec lui jusqu’ à présent et qu’il fallait utiliser autre chose. Mes choix sont fragiles … mais c’est un métier où il n’y a tellement pas de certitude ! »
Vous vous reverriez aujourd’hui avec des étalons ?
« Non. Je n’ai pas vendu Kannan pour m’improviser étalonnière aujourd’hui alors que j’ai 60 ans alors que j’ai dit que je ne pouvais pas faire ce métier à 40. C’est d’ailleurs pour cette raison que je castre quasiment systématiquement tous les mâles. La seule chose que je pourrais envisager, c’est de co-exploiter un étalon avec quelqu’un qui sait faire ça. J’ai gardé un Ninto de Beaufour x Elvis Ter Putte. Sa mère Grumpy de la Roque a 8 ans et commence à très bien sauter. C’est une fille de Tenessee de la Roque, propre sœur de Toupie. Il est très beau et je l’ai gardé entier car foal, il avait quelque chose à part. J’ai quand même cette passion du sport … et il y a tellement plus de chance de rater un bon cheval en voulant le garder entier qu’en faisant de l’argent parce que c’est un étalon … »
On a vu de très nombreux bons chevaux portant l’affixe de la Roque … et là, on a l’impression que vous accumulez les cracks depuis quelques années. Il y a encore une différence ?
« Oui, c’est sûr que Caracole et Foxy .. c’est autre chose. Ma sœur me dit que je dois arrêter de dire que j’ai des cracks parce que ça devient chiant… C’est vrai qu’à une époque Toupie était notre véritable crack, qu’aujourd’hui, ce que Caracole a montré cette année que ce soit aux JO ou durant la saison est incroyable et quand je vois ce que Foxy montre à son tour…je pense que c’est encore mieux. Je peux en parler tout à fait librement … puisqu’aucun des trois n’est encore à moi aujourd’hui. »
Toupie, vous la mettiez dans la même catégorie que les deux autres ?
« Toupie en liberté, à trois ans, c’était hallucinant car on avait l’impression qu’il y avait Marcus Ehning dessus. Ce qui est comique, c’est que Walloon, Walnut et Werly Chin étaient déjà issue d’une même récolte et l’histoire s’est répétée ici. Première récolte de Walloon chez nous, trois embryons, trois propres sœurs : Toupie, Tenessee et Tendance, une alzane, une baie, une noire ! Malheureusement, Tendance est née avec une malformation et est morte à trois ans. Tenessee a gagné la finale des 6 ans au Sunshine Tour mais a eu un accident dans le camion au retour et n’a pas fait de sport. Elle semble très bien produire et poursuit sa carrière de reproductrice en Belgique. J’ai conservé deux de ses filles après l’avoir exploitée conjointement avec l’élevage du Thot. Lorsque nous avions testé Toupie, Tenessee et Tendance, elles sautaient toutes les trois très bien mais Toupie sautait vraiment comme une extraterrestre. toujours sur le bon pied. Tout était facile pour elle, elle avait toujours une bonne distance en sortie de virage. Par la suite, elle s’est révélée très très compliquée… La décision de vendre Toupie a été un véritable crève-cœur. C’était un moment compliqué de ma vie. Elle commençait à bien tourner avec Victor mais j’ai reçu cette offre, même si elle n’était pas extraordinaire avait le mérite d’exister. La jument avait 14 ans, 180.000 euros de gains avec Julien Epaillard et Michel Hécart, une fertilité assez ordinaire … et j’avais quand même besoin d’argent. Alors, j’ai accepté. Pieter Devos aimait bien la jument, je m’étais dit qu’il la traiterait bien … puis quand on voit la suite de l’histoire, c’est magnifique. Je suis vraiment très heureux pour eux. Je n’ai pas une once d’aigreur. Je suis toutes les performances de Toupie avec la même passion. On peut juste ce dire qu’elle n’avait pas trouvé son cavalier avant lui ! »
Caracole, on a un peu l’impression inverse où tout le monde pensait qu’elle avait trouvé le cavalier de sa vie (ndlr: avec Julien Epaillard) … puis finalement Carl Cook déjoue tous les pronostics.
« Ce qui est extraordinaire avec Caracole, c’est le travail et l’humilité de Carl Cook pour se remettre en question. Le côté Horsemanship d’Eric Navet leur a permis de faire un véritable travail pour comprendre la jument et aujourd’hui, ce couple est d’une incroyable beauté. La jument saute encore mieux qu’avec Julien Epaillard. Aujourd’hui, ils font vraiment l’un pour l’autre. C’est magique et les jeux, c’était dingue. »
On parle souvent des chevaux modernes en disant qu’ils doivent avoir du sang et être respectueux … mais il faut aussi qu’ils soient montables par des amateurs. Caracole reste pratique en ayant toutes les qualités du cheval de sport moderne par excellence.
« Il ne faut pas oublier que Carl Cook est coaché par le plus grand professionnel au monde. L’écoute du cheval est mise en avant avec beaucoup d’humilité et des heures de travail. Ce qui n’est pas la force de tous les amateurs. C’est la jument que tout le monde rêve d’élever et cela donne une fierté supplémentaire … même si quand je vois le barrage de Foxy, que j’ai vu évoluer, à Rome … je me dis qu’elle aussi est vraiment très spéciale. Foxy a remporté son premier Grand Prix deux étoiles, son premier trois étoiles, elle le gagne, son premier quatre étoiles, elle le gagne également … et maintenant, elle gagne en 5* avec la manière. Malheureusement, aujourd’hui, je n’ai plus rien de la souche d’Océane de Nantuel, qui est la grand-mère de Foxy. Peut-être qu’un jour, j’irai racheter un produit d’Océane … nous verrons bien. »
Ca vous intéresse de refaire vos souches ?
« J’essaie surtout d’élever avec de bonnes juments. J’ai gardé Catapult de la Roque (Quaprice x Kannan) issue d’une souche anglo qui avait beaucoup de sang et que j’ai mise à Qlassic Bois Margot. J’ai une Ninto de Beaufour qui me plait beaucoup. Ninto avait quelque chose. C’est un étalon qui a peu sailli mais qui me plaisait bien et que j’ai utilisé sur trois juments. »
Entre vos débuts d’éleveuse où vous alliez à une star mondiale comme Quidam de Revel et aujourd’hui, votre faculté d’oser utiliser des étalons comme Zandor Z, Armitages Boy ou Ninto de Beaufour qui étaient loin d’être des étalons à la mode, c’est un sacré changement?!
« Oui, c’est vrai que Zandor ne saillissait pas grand-chose l’année où est née Caracole. Quidam, on débutait alors c’était rassurant d’utiliser un étalon indiscutable. L’élevage, c’est aussi une histoire d’instinct et d’envie. Il n’y a aucune ligne directrice dans mes choix d’étalons. Armitages, je me suis vraiment dit que ses qualités pouvaient combler les lacunes de mes juments. Il y avait une chance sur deux que ça fonctionne puis le cheval sautait vraiment bien. Zandor a vraiment ramené de la légèreté et une vitesse au sol dans tous les produits qu’il a fait chez nous. Nous avons également encore deux sœurs de Caracole, l’une avec un étalon dont j’étais propriétaire Rasta du Soutrait et l’autre par Mylord Carthago qui semble très prometteuse. Nous avions essayé de faire des embryons avec Number One d’Iso mais cela n’a rien donné. La qualité reste la ligne de conduite de l’élevage. Quand on voit la manière dont est construit le sport aujourd’hui, c’est vraiment ce qu’il faut. Il faut des chevaux qui atterrissent et qui sont déjà prêts à repartir. Il faut du sang, de la modernité et un petit brin de folie. Je ne me torture pas avec mes choix d’étalons car je suis persuadée que la qualité vient des juments. Du coup, je choisis mes étalons par coups de cœur. »
Lorsque vous allez à un étalon, vous préférez des performances sportives ou une souche très fournie ?
« Je veux qu’il ait une bonne souche maternelle. Récemment, j’ai beaucoup utilisé Dollar du Rouet, même si je n’étais pas vraiment fan du cheval… mais j’aime bien sa production. Cela peut « matcher » avec mes juments et je suis assez contente du résultat. J’ai évidemment pensé à remettre Zandor Z sur les deux sœurs de Caracole … mais je ne l’ai pas encore fait. Je me dis qu’on a eu de la chance et qu’il ne faut pas recommencer ce qui a trop bien marché. J’ai tout le temps agit de la sorte et je pense qu’il faut faire les choses tel que l’on est et suivre ce que l’on croit. »
Que d’émotions positives vous avez vécu ces dernières semaines avec les Jeux Olympiques, l’étape du Global Tour de Rome, les championnats de France des jeunes chevaux …
« Les jeux, c’était énormément d’émotions. J’ai été invitée pour la finale individuelle par la SHF et je me suis dit que c’était tellement une chance et un rêve d’être là. C’est un aboutissement. Caracole a largement contribué à la médaille d’argent des USA. Je me suis vraiment dit que c’était une chance fantastique. Après, le titre de Champion de France des 6 ans me fait autant plaisir. Surtout qu’on ne fait jamais Fontainebleau. J’ai moins de chevaux maintenant, mais j’essaie de trouver la bonne place pour chacun. J’ai trois chevaux de cinq ans que j’aime beaucoup. Un Comilfo Plus Z, qui est un étalon que j’ai aussi pas mal utilisé. J’ai un 7 ans, donc une nouvelle fois avant qu’il ne fasse ses grosses générations avec une mère Coltaire Z x Walloon de Muze. »
Le commerce vous plaît autant que l’élevage ou c’est juste obligatoire, indissociable de l’élevage ?
« C’est obligatoire avec l’élevage. Ce qui me passionne, c’est chercher des chevaux. J’ai d’ailleurs racheté cette année un United Touch que Tony Cadet m’avait renseigné et il appartenait aux frères André qui m’avaient déjà trouvé trois chevaux que j’ai acheté avec de véritables coups de cœur. Ils m’ont laissé trois mois pour me décider. Nous avons emmené Unity Touch (United Touch x Chaman) à Fontainebleau où il vient de faire troisième au critérium des 5 ans. »
Vous espérez encore révéler de nouvelles souches? Car, au final, votre élevage n’est pas très vieux et vous avez eu des résultats avec de nombreuses souches différentes.
« Oui, certainement. Je commencer par exemple à élever avec une mère qui s’appelle Atomic de la Roque. C’est une fille de Kannan et petite fille d’Eden du Rozel. Elle devrait être bien. J’ai une Comilfo Plus Z avec Bardiane de la Roque qui est une propre sœur de Toupie qui a l’air, elle-aussi, d’avoir quelque chose. Continuer avec la souche de Caracole, ça a certes un lien affectif mais c’est aussi continuer avec ce qui marche. »
Vous vous fixez encore des objectifs ?
« Oui, on s’en fixe toujours sinon il faut rester couchée. J’ai plein d’objectifs … mais ça porte la poisse de les révéler. Après cela reste de produire de bons chevaux. Après j’ai la chance avec Adeline et Victor que cette aventure se prolonge une génération de plus … mais je ne parle pas du tout de chevaux avec mes petit-enfants. Je vais essayer de suivre ce qu’eux aiment. Aujourd’hui, même si je ne vis plus au milieu des chevaux, je les suis énormément. Il m’arrive même de prendre le camion pour les emmener en concours. J’arrive à suivre mes chevaux de plus près que lorsque j’étais au milieu d’eux à la Roque. En fait, il y en avait tellement là-bas que c’était difficile de suivre. Maintenant c’est différent. Surtout la relation avec les cavaliers. Je me sens même parfois plus impliquée. »