Vous l’avez lu dans la première partie de cet article consacré à Mariette Withages, le parcours de l’Anversoise pour arriver au dressage n’était pas tracé d’avance….(voir la première partie de l’article ici). Mais une fois qu’elle a été séduite par la fonction de juge, Mariette Withages a gravi les échelons pour atteindre les sommets de la discipline.
So Horse: Un jour vous avez atteint le niveau cinq étoiles, le graal pour un juge. C’est devenu plus difficile pour vous?
Mariette Withages: « Pas vraiment. Parce qu’en fait on apprend petit à petit. Et puis un jour on doit passer des examens pour monter de grade et l’expérience aide beaucoup. et puis l’étape après ça a été les Jeux Olympiques…J’ai été juge réserve à Atlanta, j’étais juge de réserve et déléguée technique à Sydney. Mais je dois avouer que c’est plus facile de juger les JO que de juger Aix-La-Chapelle. À Aix, il y a toujours une flopée d’Allemands qui sont bons, mais qu’on ne connait pas spécialement. Tandis qu’aux Jeux Olympique on les connait tous. J’étais partie comme Présidente du jury à Athènes un peu avec la boule au ventre, mais en fait c’était comme un concours normal.
Par contre la première fois à Aix, c’était comme la première fois que j’ai monté un concours de dressage à L’Etrier. Je me sentais un peu comme dans la cage au lions. Je suis arrivée aux côtés de trois juges Allemands, je les surnommais la « Holsteiner mafia ». J’étais jeune, il me connaissaient de vue et pendant quelques jours ils me regardaient un peu de travers. Mais ils étaient gentils et nos résultats étaient les mêmes, donc ça se passait bien. Et puis après quelques jours, je passe devant le bar de l’hotel où ils étaient tous les trois et l’un d’entre eux propose que je me joigne à eux et propose de m’offrir un verre, ce que j’accepte. Je reçois alors un Fernet Branca. Je ne connaissais pas et eux c’était leur habitude de boire cet alcool amer. Je ne savais pas si j’allais mourir ou si mes cheveux allaient se dresser sur ma tête, mais quoi qu’il en soit les verres se sont succédés et je n’aimais vraiment pas. Mais ça a été un peu comme une sorte de test. après ça, j’ai été acceptée dans leur groupe …et maintenant j’aime bien le Fernet Branca (rires).
J’ai jugé ensuite jusqu’à la limite d’âge et même au delà. La FEI imposait une limite de 70 ans sauf pour les juges 5 étoiles qui avaient droit à des prolongations. J’en ai eu deux de deux ans. Ensuite j’ai dit « j’arrête ». Ce n’est pas que je voulais vraiment arrêter, mais j’ai réfléchi et je me suis rappelée comment je me suis sentie quand je suis devenue juge 5*. Je me suis dit alors que j’avais tout eu, j’avais tout vu, pourquoi ne donnerais-je alors pas cette chance aux jeunes… Je me suis alors dit que c’était mieux pour moi de me retirer comme juge mais que j’allais aider les autres à juger.
S.H. Vous avez été un juge connu et reconnu. Qu’est-ce qui a fait que vous deveniez cette personnalité du dressage?
M.W.: Je n’en sais rien. Probablement un mélange de différentes choses. Je crois que c’est un cocktail de connaissances, de philosophie et de contact. Comment on se comporte. Si on se présente avec le nez en l’air en disant moi moi moi, ça ne passe pas. Il faut être sociable avec les gens. Il faut pouvoir écouter. C’est peut-être ça le plus important. Et puis on fait son analyse seulement après. Je crois que je n’ai jamais douté dans mon jugement. Réfléchir ce n’est pas douter. On évolue. Je crois qu’on ne cesse d’évoluer. Si on ne le fait pas, de toute façon, on recule.
S.H. En parallèle avec votre fonction de juge. On peut dire que vous avez été une pionnière, ou, en tout cas, à l’origine de pas mal de choses dans le dressage.
M.W. : C’est vrai qu’au moment ou j’ai commencé à juger en international, je me suis dit « mais pourquoi est-ce qu’on n’en a pas un en Belgique? ». Ça n’existait pas. Alors j’ai décidé d’en organiser un. C’était à Brasschaat, au Brasschaat Riding Club, en 1978. Avant cela il n’y avait pas d’international en Belgique. Ça a été la sensation à l’époque, parce que les gens disaient que ce n’était pas possible à organiser. D’ailleurs lors de la conférence de presse, le Président de la Fédération belge de l’époque, José Hoffmann, qui était Bruxellois et de l’obstacle, avait déclaré aux journalistes: « C’est une petite dame des Flandres qui croit qu’elle sait le faire »… Je l’ai organisé 26 ans… 5 ans à Brasschaat et puis lorsque les terrains ont été vendus, au château de Schoten et enfin à Kapellen. D’abord c’était des trois étoiles et puis à la fin c’était une manche de Coupe du monde...
Ah oui, c’est moi aussi qui ai lancé la Coupe du monde de dressage…
On était à Aix-La-Chapelle et ils avait créé la Coupe du monde d’obstacles. Et tout le monde en parlait. Alors j’ai dit aux autres: « Pourquoi est-ce qu’on ne créerait pas une Coupe du monde de dressage? » Ils m’ont tous regardé comme une folle et m’ont demandé comment on allait faire ça. J’ai dit qu’on allait mettre la kür. C’est là qu’on allait avoir du monde. C’est moi qui ai mis la kür en musique. La kür existait en Allemagne, déjà à Aix-La-Chapelle, mais c’était sans musique. Et dans les petits concours, il y avait de la musique. J’ai dit « on va la faire en musique ». Dans le comité, Il y avait le Secrétaire Général de la fédération allemande, il y avait également un Danois, celui qui a commencé à faire les premières pistes en synthétique, et moi.
On a fait un concept, on est allés le présenter à la FEI. Il y avait le Secrétaire général, c’était un Suisse-Allemand, il nous a regardés comme si on venait de Mars et il a dit: « Aussi longtemps que je vivrai, jamais! ». On a dit ok, on va changer le concept. En réalité, on n’a changé que quelques détails et puis au final il a dit ok, ça va… et on l’a fait. »
S.H. : Et vous ne vous êtes pas arrêtée là…
M.W.: Par la suite, j’ai fondé le Club International des Juges, le Club International des Organisateurs de Concours. j’ai aussi organisé le premier CDI en Italie, à Rome, Piazza di Siena, aussi une Coupe du monde. Et puis il y a eu les premiers Championnats d’Europe des Young Riders. C’était en 1988, à Lanaken. En fait, Leon Melchior, qui organisait déjà son concours à Lanaken voulait faire un CHIO car il s’était disputé avec ceux d’Aix-La-Chapelle. Donc il voulait leur faire concurrence. Il m’appelait « Kind » (enfant). Il me dit: « Kind » tu dois m’aider pour organiser le dressage. Mais je ne veux pas des vieux et je veux quelque chose d’extra-ordinaire. » A l’époque il n’y avait que des championnats Juniors et ça n’existait pas pour les young riders. Alors je l’ai fait là pour la première fois. Et le premier Champion d’Europe young riders a été une championne…c’était Isabell Werth.
S.H. : Une fois votre casquette de juge raccrochée, toujours dans le dressage, vous vous êtes lancée encore dans un autre rôle.
M.W.: J’ai alors commencé le coaching et à être chef d’équipe. Mais je n’ai jamais mélangé ça avec l’activité de juge. C’est impératif, on ne peut pas mélanger les deux pour rester cohérent dans chaque activité.
J’ai débuté avec l’équipe du Brésil. C’était vraiment super intéressant. Il y avait des cavaliers avec vraiment beaucoup de talent. Mais ils avaient aussi un côté un peu « olé olé ». Donc, c’est important de savoir comment gérer ce côté là avec la discipline que requiert le dressage. J’ai du avoir une ancêtre italienne et donc j’ai probablement un peu de sang latin quelque part et ça m’a sans doute aidé à gérer ça. Ça s’est vraiment bien passé. J’ai d’ailleurs encore à l’heure actuelle de très bons contacts avec les Brésiliens.
Ensuite il y a eu les Japonais…C’était vraiment l’opposé ça. En plus, c’était au Japon.
Ma relation avec le Japon datait de mon passage dans la commission de dressage de la FEI. (Ah oui au fait, parmi ses multiples casquettes, Mariette Withages a également siégé au sein de la Fédération Équestre Internationale, NDLR). Le Président de la commission était Wolfgang Niggli, un Suisse-Allemand. Très connaisseur et très correct. Il m’avait déjà envoyé au Japon pour juger. Un jour il me dit que pour les J.O. de Barcelone il aimerait bien un juge asiatique. Mais pour ça il fallait un juge 5*. A l’époque il n’y avait que 4 ou 5 cavaliers de Grand Prix au Japon. Autant dire que l’expérience des juges était limitée… Du coup, il me demande de former un juge japonnais en lui donnant de l’expérience…Niggli était un super juge et un super Président de commission, mais ce n’était pas le plus souple. Donc il attendait de moi que je fasse son boulot. Alors j’ai réfléchit et je me suis dit qu’il faudrait que ce juge soit un certain temps en Europe pour se familiariser avec le niveau européen. J’en parle à mon mari, qui avait déjà entrainé des cavaliers japonnais, et on en arrive à la conclusion que le mieux serait qu’il vienne s’installer chez nous. Voici Osaka, notre Japonais, qui vient s’installer six semaines chez nous. Il a commencé avec des concours nationaux, et puis un CDI amical ,quelque chose qui n’existe plus, ou trois pays frontaliers se rencontraient. On a fait ça à Vinalmont. J’avais emmené Osaka là bas. Son anglais n’était pas fabuleux, mais il se débrouillait. Et puis j’ai voulu l’amener sur un CDI à Salzbourg. Le Président du jury était un Allemand, un bon copain. Avant le concours je l’ai appelé et je lui ai demandé si il pouvait mettre Osaka dans le jury et là il me répond: « Pas question! ». C’était hors de question pour lui de mettre un asiatique. Je lui ai dit que de toute façon, je l’emmenais avec moi. Je jugeais donc sur place et j’ai alors dit que le lendemain je serai malade. Et qu’il devrait prendre Osaka. c’est ce qui s’est passé le lendemain. Par la suite Osaka est devenu juge 5* comme espéré.
Je me suis de plus en plus occupée des Japonais par la suite. j’avais les contacts au Japon et puis ça « matchait » entre nous. Il faut dire qu’ils sont plus Allemand que les Allemands, ce qui peut aider dans le dressage… J’ai leur ai donné des cours ensuite et puis je suis allée aux jeux à Tokyo avec eux.
Mais cette histoire du Président du jury qui ne voulait pas donner une place à un asiatique m’avait fait réfléchir. Six ans plus tard, je suis devenue Présidente de la commission de la FEI et j’ai dit que ma priorité allait être de faire un dressage mondial. J’ai du me battre pour ça. Les Allemands, les Hollandais, les Suédois, les Danois et ceux d’Amérique du Nord n’étaient pas d’accord. Et une de mes plus grandes fierté est d’avoir finalement réussi à le faire. Et quand je croise encore de temps en temps des représentants des pays d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique du Sud, ils me remercient encore pour ce que j’ai fait pour eux. C’est une grande satisfaction pour moi.
Au long de cette carrière, il y a parfois eu des moments difficiles à la FEI, mais dans les moments les plus compliqués, chaque fois j’ai pu compter sur le soutien indéfectible d’Ingmar Devos (avant même qu’il devienne Président de la FEI et de Jacky Buchmann qui était à la tête de la Fédération belge) avec qui j’avais organisé plusieurs années le concours de dressage à Kapellen en même temps que le jumping. Je leur en serai toujours reconnaissante.«
Mariette Withages, comme vous avez pu le lire, a réalisé beaucoup de choses dans sa vie et ne semble pas encore rassasiée puisqu’elle continue à parcourir le monde pour partager son savoir et sa passion du dressage.
© Photos Collection privée.